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autres idées un mouvement commencé, et quand elle s’achève en un mouvement musculaire, ce mouvement est libre. Il semble que cette théorie rapproche et confond des conceptions essentiellement différentes. L’idée de liberté, lorsqu’elle désigne une indétermination quelconque, est un concept métaphysique. L’idée de la force des idées est une idée populaire et vague, tant que l’analyse ne l’a pas résolue en d’autres plus simples. Enfin l’idée du rapport de l’image et du mouvement est un concept physiologique. Or : 1° cette dernière idée est elle-même extrêmement complexe, et par conséquent malaisée à préciser. Est-il vrai que l’image soit un mouvement commencé ? Il semble que le rapport de l’image et du mouvement doive être ramené au rapport de la sensation et du mouvement, puisque l’image n’est qu’une sensation, ordinairement affaiblie. La sensation, il est vrai, est ou tend à être suivie d’un mouvement ; mais elle n’est pas elle-même ce mouvement à l’état naissant ; car elle produit des mouvements différents selon qu’elle modifie d’une manière agréable ou pénible l’état général de l’être vivant : si elle est agréable, elle est suivie d’un mouvement de préhension ; si, en d’autres circonstances, elle est pénible, d’un mouvement de répulsion. Ce qu’on peut dire de plus clair, ce semble, de la sensation et conséquemment de l’image, c’est qu’elles déterminent des mouvements[1].

2o Le moraliste, l’historien parlent à bon droit de la puissance des idées pour l’opposer à la force brutale des faits. Le psychologue peut en parler aussi, comme nous l’avons vu, en considérant l’idée comme un intermédiaire entre la volonté et l’objet qui est le but de la volonté. Mais est-ce à dire que toute idée tende à se réaliser par une sorte de fascination passive ? Tout au plus pourrait-on le concevoir des idées qui sont des images, mais non de celles qui sont abstraites, non des concepts. Que dire à présent de ce concept que le langage permet sans doute à M. Fouillée de nommer mais que l’esprit humain n’avait même pas formé distinctement jusqu’ici : « le concept de la force des concepts » ? Est-ce encore une image ? et si quelque image l’accompagne, comme il est vrai, a-t-elle la moindre ressemblance avec le contenu du concept, en constitue-t-elle la compréhension à quelque degré que ce soit ? Pour moi, je n’aperçois d’autre image dans cette idée que les mots mêmes qui l’expriment, et toute la réalisation de l’idée que je puis constater en ce sens s’achève dans la prononciation de ces mots.

  1. V. sur ce point les intéressantes analyses de M. Bain, qui croit trouver l’origine de la volonté dans la loi qui lie la prolongation ou la cessation du mouvement spontané au plaisir et à la douleur (Les Sens et l’Intelligence, trad. fr. . p. 258 ; V. aussi les Émotions et la Volonté.)