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qui en est la substance sont bien tels qu’ils l’auraient été s’ils avaient été directement produits par la perception directe des événements futurs. Enfin, quand il s’agit des idées morales qui appliquées à l’avenir forment pour notre pensée un idéal, c’est-à-dire un ordre de choses qui ne se réalisera que par le moyen des actions que l’idée de cet ordre détermine, ce genre de détermination atteint le plus haut degré de complication possible, et ne comporte plus guère d’interprétation mécanique précise. Il faudrait du moins supposer encore que le mouvement cérébral qui donne le branle à l’action est dû à un mécanisme intérieur qui, en développant ses virtualités propres, a atteint un état tel qu’il aurait dû résulter de l’action simultanée d’une immense série d’antécédents et de conséquents extérieurs futurs. Hypothèses étranges peut-être, mais inévitables, si l’on veut traduire dans le mécanisme ce phénomène, étrange aussi, de la représentation qui fait de notre conscience individuelle une expression de l’univers. Par conséquent, si l’on a toujours le droit de dire, au point de vue du mécanisme, que l’homme qui agit avec réflexion sous l’empire d’une conviction morale agit nécessairement, et manifeste simplement au dehors l’état de son cerveau ; néanmoins, quand on examine en quoi consiste cette nécessité, et quelles sont les conditions déterminantes de cet état du cerveau, on doit reconnaître que cet état et l’acte qui en est la suite sont indépendants au moins en partie de l’état des autres organes du corps, c’est-à-dire de l’individualité physique, indépendants du milieu cosmique dans son état actuel et dans la totalité de sa durée passée, et qu’ils dépendent au contraire, d’une certaine manière, grâce à une adaptation obscure du mécanisme cérébral, de l’état futur de ce milieu ; bref, qu’ils correspondent, dans la mesure où nos idées sont adéquates, à l’état total de l’univers. Cette détermination d’un caractère spécial peut recevoir un nom spécial. C’est elle que les moralistes de tous les temps ont désignée par les mots de liberté morale. L’homme est libre quand il est déterminé à agir par l’idée d’un bien universel, c’est-à-dire quand il obéit à sa conscience, au dieu intérieur : « Deo servitus, summa libertas. »

Ainsi peut se concevoir le développement de l’idée du déterminisme sous un de ses aspects, le principal aujourd’hui, celui du déterminisme mécaniste. Le mécanisme prépare et réalise dans le cerveau de l’homme les conditions de l’indépendance relative de sa volonté, il lui permet de faire de ses actes l’expression d’un idéal d’une grandeur infinie ; et il produit effectivement en de rares circonstances la plus haute réalité qui soit au monde, la liberté morale.

Mais ce n’est pas tout. Nous pouvons démontrer maintenant que