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rique de la doctrine, insiste sur ce point que le passage du semblable au semblable ne repose sur aucun principe logique ou a priori, mais simplement sur l’observation ; il veut que le raisonnement employé s’appelle épilogisme et non analogisme, comme disent les dogmatiques. Très probablement aussi c’est lui qui distingue la définition et la distinction des maladies. C’est lui encore qui marque nettement la portée de la méthode[1] qu’il décrit, et proclame que le passage du semblable au semblable ne donne que des probabilités, ou des possibilités, aussi longtemps du moins que les conclusions n’ont pas été confirmées par une expérience directe. N’est-ce pas, en des termes un peu différents, le même procédé d’investigation que notre Claude Bernard a si nettement décrit sous le nom d’hypothèse, et dont il a si victorieusement mis en lumière le rôle essentiel dans la science ? Enfin Ménodote a eu le mérite de se garder des excès dans lesquels sont souvent tombés les empiriques. Il sait faire une place à la raison dans la méthode[2] : c’est lui qui distingue l’érudition irrationnelle de celle qui est éclairée par le raisonnement, c’est lui qui donne un nom particulier à ceux qui ne savent qu’accumuler les observations, sans faire aucun usage de leur intelligence. C’est là surtout qu’il nous apparaît comme le créateur non de la méthode empirique, mais de la méthode expérimentale.

Il ne faudrait pas croire qu’en décrivant ainsi la méthode, Ménodote n’ait songé qu’à la médecine. En même temps que médecin, il fut un des chefs de l’École sceptique : nul doute qu’il ait étendu ses préceptes à l’ordre entier des connaissances humaines. La théorie des signes commémoratifs, réduits à une simple association d’idées, telle que l’enseigne Sextus Empiricus, celle de l’observation sans dogmatisme[3] (ἀφιλόσοφος τήρησις), bien d’autres encore sont tout à fait d’accord avec ce que nous savons de la méthode de Ménodote. C’est de lui que s’inspire Sextus Empiricus, qui semble le placer au même rang qu’Ænésidème[4]. Ennemi déclaré du dogmatisme et de la dialectique, il a probablement[5] inspiré le curieux et piquant chapitre sur la solution des sophismes qui termine le deuxième livre des Hypotyposes de Sextus, et qui oppose, avec une si claire conscience de leur radicale différence, la méthode a priori et la méthode a posteriori. Ménodote fut le père du phénoménisme, nous pourrions dire du positivisme dans l’antiquité.

  1. Ibid., p. 53, 55.
  2. Ibid., p. 66, 50.
  3. Sext. Emp. M., XI, 165.
  4. Sext. Emp. P. II., I, 222.
  5. C’est ce qu’on peut conjecturer d’après la Subf. emp., p. 66.