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les unes sont essentielles, les autres accidentelles. De plus, à côté des ressemblances il y a des différences, dont il est nécessaire de tenir compte. Il faut faire avec soin ces distinctions si l’on veut, étant données certaines ressemblances, en inférer d’autres propriétés, qui ne sont pas actuellement observables : c’est l’objet de ce procédé qu’aucun Épicurien n’avait nommé avant Zénon[1], mais auquel s’inspirant peut-être des empiriques, Zénon attache avec raison une haute importance, et qu’il appelle ἠ τοῦ ὁμοίου μετάβασις. Par exemple, si toutes les espèces animales que nous avons observées ont été mortelles, on pourra assurer sans crainte que dans d’autres pays, et dans de tout autres conditions, tous les animaux seront mortels. Mais si un objet ressemble à un aliment par la couleur, la saveur et l’odeur, personne ne s’avisera d’en conclure qu’il est propre à l’alimentation. S’il s’agit d’un rapport de coexistence, on pourra conclure d’un genre ou d’une espèce aux divers individus de ce genre ou de cette espèce ; par exemple le fait que tous les hommes connus à qui on a coupé la tête sont morts permettra d’affirmer que dans le même cas les hommes même d’une espèce inconnue mourront : on pourra conclure parfois d’un individu à un autre individu de la même espèce, mais à la condition de s’assurer au préalable que rien ne s’oppose à cette conclusion : ainsi de ce que le figuier croit dans certains climats, il ne s’ensuit pas qu’il croîtra partout. S’il s’agit du rapport de succession, on pourra en présence d’un phénomène affirmer un autre phénomène inconnu, à la condition de s’assurer encore comme précédemment qu’il y a entre eux un rapport nécessaire, une liaison invariable (ἀκολουθία) : ainsi la fumée est le signe du feu, une blessure au cœur annonce la mort. On pourra de même conclure, après avoir observé des ressemblances invariables, des phénomènes aux réalités cachées. On affirmera par exemple que les atomes ont du poids parce que tous les corps visibles sont soumis à la loi de la pesanteur. Seulement il faut ici s’assurer qu’il n’y a pas d’exception dans les faits observés. Si on peut conclure que si le vide n’existait pas, le mouvement serait impossible, c’est à condition d’avoir démontré que tous les cas particuliers de mouvement qui sont le point de départ du raisonnement, sont semblables. En un mot, au lieu de former des notions générales un peu au hasard, il faut les soumettre à un examen attentif ; c’est à cette condition que le raisonnement pourra atteindre la vérité.

On voit par ce bref résumé combien la logique de Zénon est supérieure à celle d’Épicure. Toutefois il y a loin encore de ces préceptes, d’ailleurs excellents, aux formules précises et scientifiques de l’empi-

  1. Ibid.