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accuser son hypnotiseur. Mais restent les héritiers qui sont toujours au courant des faits et gestes du testateur. Ils ne manqueront pas de fournir au tribunal les preuves que leur parent se faisait hypnotiser par celui en faveur duquel il a testé. — N’y a-t-il donc, demanderons-nous, que cette hypothèse ? Les héritiers ne pourraient-ils pas habiter un autre pays, ou tout simplement ignorer les hypnotisations ? Le dentiste Lévy a bien pu endormir une jeune fille et la violer sans que sa mère, qui était dans la même chambre, s’aperçût de rien.

Et la suggestion du crime ? — Elle paraît à M. Gilles de la Tourette absolument théorique, car elle n’assure pas l’impunité. Arrêtons-le là, avant d’aller plus loin. Il peut se présenter des cas où une personne veut absolument en tuer une autre, quelles qu’en, soient les conséquences ; la crainte d’être punie ne l’empêchera donc pas de se servir, pour commettre le crime, d’un sujet qui seul, par exemple, aurait accès auprès de la future victime. Voilà une suggestion criminelle parfaitement réalisable. Parlons maintenant de l’impunité. M. Gilles de la Tourette pense qu’on découvrira le coupable en vertu du fameux axiome : Is fecit cui prodest. Plût au ciel que cet axiome fût d’un si grand usage ! il y aurait moins de crimes impunis. L’auteur ajoute que, pour faire commettre un assassinat par suggestion, il faut prendre ses précautions, préparer, mûrir le sujet par des expériences répétées, et qu’alors le souvenir de ces expériences sera conservé, et leur existence apparaîtra à la suite d’une expertise. Ce sont là, dirons-nous à notre tour, des arguments purement théoriques. Il suffit d’avoir assisté aux représentations d’un magnétiseur de profession, de Donato par exemple, pour comprendre avec quelle rapidité un homme habile s’empare d’une personne qu’il voit pour la première fois, et lui fait commettre, au bout de deux minutes d’hypnotisation, tous les actes qu’il lui plaît. Il est du reste à notre connaissance qu’on a souvent fait exécuter à des sujets des actes pour le moins inconvenants envers des étrangers, et que les auteurs de ces actes sont restés parfaitement inconnus. Il y a sept ou huit ans, à la Salpêtrière, quelqu’un a donné à une hypnotique la suggestion d’aller prendre des fleurs dans la chapelle et de les planter dans le parterre. Récemment encore, une autre personne donnait à un sujet la suggestion de venir la retrouver en Angleterre, et il n’est pas impossible que cette suggestion, peu délicate, sinon criminelle, eût pu être exécutée, si on n’y avait pas mis bon ordre. M. Pitres, cité par M. Gilles de la Tourette (p. 128), rapporte qu’une de ses hypnotiques reçut d’un inconnu la suggestion d’aller embrasser l’aumônier de l’hôpital, et la suggestion était si puissante que, pour y mettre un terme, on ne trouva rien de mieux que de prier l’aumônier de se prêter à sa réalisation — ce qu’il fit, je suppose, de bonne grâce.

Pour résumer toute cette discussion, nous dirons que M. Gilles de la Tourette, tout en s’élevant, et avec juste raison, contre les exagérations de certains auteurs, qui ont fait de la suggestion hypnotique une sorte de péril social, est tombé dans le travers qu’il reprochait à ses adver-