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ANALYSES.gilles de la tourette. L’hypnotisme, etc.

l’exaltation des sens, de l’intelligence et des forces musculaires qui accompagne généralement cette période. Reste donc la léthargie, pendant laquelle le sujet est inerte, absent de lui-même ; à ce moment, le viol peut être commis avec autant de facilité que sur un cadavre. Les faits que rapporte l’auteur sont, dit-il, tout à fait confirmatifs de cette opinion. Il rappelle le cas de Coste et Broquier (1858), l’affaire du dentiste Lévy (1878), le cas de Ladame (1881), l’affaire Castellan (1865). Remarquons que, chez certaines malades, la léthargie paraît avoir un caractère lucide ; la malade, quoique inerte, conserve sa présence d’esprit et peut se rappeler l’attentat commis sur elle.

L’auteur arrive ensuite aux crimes et délits commis par suggestion. Après avoir remarqué qu’on peut obtenir d’une somnambule des aveux et des confidences qu’elle n’aurait pas faits à l’état de veille, l’auteur s’élève avec force contre le prétendu péril de la suggestion. On a fait depuis quelques années beaucoup trop de bruit autour de la suggestion hypnotique. M. Gilles de la Tourette entreprend de nous rassurer. Nous trouvons seulement qu’il nous rassure trop. Il déclare par exemple qu’il est impossible par suggestion de réduire la résistance d’une somnambule et de la violer. Pourquoi donc ? L’opérateur ne peut-il pas avec la suggestion se transformer en une autre personne chère au sujet ? Il serait également impossible « de suggérer à une malheureuse fille, que l’on viole en la bâillonnant, qu’elle ne se souviendra de rien dans une deuxième hypnotisation » (p. 370). C’est encore aller bien vite. Sans doute, certains sujets résisteraient à l’injonction, mais il n’en serait pas ainsi de tous. Quant au vol et au crime commandés par suggestion, ce seraient là, d’après l’auteur, des expériences de laboratoire, qui n’entreront jamais dans la pratique criminelle, par cette raison péremptoire qu’elles n’assureraient pas l’impunité de l’auteur. Cette opinion est particulière à M. Gilles de la Tourette, et nous voyons dans la préface de son livre que M. Brouardel n’est pas complètement de l’avis de son élève. Dans tout ceci, il nous semble que l’auteur en prend bien à son aise avec les faits. Il nous paraît fort aventureux de déclarer a priori : ceci est possible, ceci est impossible. — Une valeur est souscrite par suggestion : l’opérateur se présente à l’échéance pour toucher la somme. Qu’arrivera-t-il ? L’auteur n’hésite pas. Le souscripteur de l’effet, ne se rappelant pas ce qui s’est passé pendant le somnambulisme, se demandera comment il a pu signer un tel papier. De là aux explications, il n’y a qu’un pas. Le sujet dépose une plainte ; on fait une enquête, on apprend que le créancier est un hypnotiseur… Tout cela est possible, répondons-nous. Mais les choses peuvent se présenter autrement : par exemple, l’opérateur a persuadé au sujet endormi que l’effet est souscrit pour éteindre une ancienne dette ; ou bien, d’avance, il supprime ses soupçons. Après le payement, au lieu d’attendre l’enquête, il passe la frontière. Qu’y a-t-il d’impossible dans cette seconde hypothèse ? — M. Gilles de la Tourette ne prend pas plus au sérieux la suggestion d’une disposition testamentaire. Le testateur, dit-il, n’est plus là pour