les caractères logiques de la vie intellectuelle et morale que la pensée donne aux mots, c’est-à-dire montrer comment les mots naissent et se développent ; indiquer comment la langue règle les rapports de sens entre les mots voisins et comment ces mots vivent les uns à côté des autres ; enfin montrer comment ils épuisent les concepts qu’ils possèdent et semblent condamnés à l’oubli ; assister à la naissance des mots, les suivre dans leur existence, les voir mourir ; tel est le cadre qu’il s’est proposé de remplir.
Il prendra la signification du mot, non à sa première origine, mais au sens qui précède immédiatement celui qu’il examine ; il fera un certain nombre de comparaisons avec l’histoire naturelle de longues études sur les langues romanes, et en particulier sur le français, l’ont conduit depuis longtemps déjà à cette conclusion que le transformisme est la loi de l’évolution du langage.
Comment donc naissent les mots ? Ou par des néologismes de mots ou par des néologismes de signification. Ce sont les néologismes de signification qui prêtent aux études logiques et psychologiques la matière la plus riche : ils s’accomplissent suivant des modes logiques déterminés, ils ont des raisons psychologiques ou morales, ils agissent d’une manière spéciale sur la langue dans laquelle ils pénètrent.
Le mot est un signe sonore qui rappelle l’image d’un objet matériel ou une notion abstraite ; la vie des mots est la valeur constante que l’esprit leur accorde d’ordinaire ; elle vient de l’activité de la pensée qui modifie diversement les rapports qu’elle établit entre les objets de cette activité (images de choses sensibles, notions abstraites) et les sons articulés ou mots dont elle a fait des signes. Il semblerait qu’il dût y avoir autant de mots que d’idées simples, mais il n’en est rien : par un procédé analogue à la gemmation, un même terme se charge de plusieurs significations dont chacune s’approprie le son primitif pour vivre ensuite de sa vie propre. L’association lie le sens et le mot, sans toujours lier entre eux les différents sens qu’exprime un même mot ; l’idée spéciale évoque le mot dans sa fonction spéciale et laisse comme endormi dans notre pensée tout ce que ce mot peut servir, dans d’autres cas, à désigner et à rappeler. Un substantif désigne à l’origine un objet par une qualité particulière qui le détermine. Le mouvement des eaux (quod fluit) sert à désigner le fleuve (fluvius). Mais cette qualité déterminante n’a nullement besoin d’être essentielle et vraiment dénominative, comme on peut le voir par les mots cahier, carillon, confiture, chapelet, tortue, caporal, adjudant, capitaine, général, etc. Le nom n’a pas pour fonction de définir les choses, mais d’éveiller les images. D’abord il éveille à la fois l’image de la qualité et celle de l’objet, puis il n’éveille que l’idée de l’objet ; le mot drapeau, par exemple, ne représente plus pour nous que l’idée d’étendard et non le morceau de drap attaché à la hampe[1]. Le nom, qualificatif à l’origine, devient sub-
- ↑ Dans quelques campagnes, le mot drapeau sert encore à désigner les langes dont on enveloppe l’enfant.