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le droit naturel au collège de france

de responsabilité morale. Est-il vrai cependant que, dans la répression, dans la correction, pour ne pas se servir du mot de peine, il ne doive entrer aucune considération tirée de l’immoralité même de la faute ? On corrige peut-être un tout petit enfant comme on corrige un animal, non pour éclairer sa conscience, qui ne s’est pas manifestée encore, mais pour faire impression sur son imagination et sur sa mémoire. On continue, même après l’éveil de la conscience, à réprimer ainsi, dans la famille et dans la société, des fautes contre la discipline, de simples contraventions, comme on dit dans le langage légal ; mais on ne confond pas le châtiment de fautes de ce genre avec la peine, infligée à des actes délictueux ou criminels. Ici, on considère l’intention, on apprécie les mobiles, on prétend agir, soit sur la conscience du coupable, soit sur les autres consciences que sa punition doit intimider ; le juge, enfin, ne consulte pas seulement un texte de loi, il interroge sa propre conscience et il ne fait qu’en reproduire les décisions. De là l’institution du jury, dont le jugement, étranger à la connaissance même de la loi pénale, n’est ou ne doit être que le jugement même de la conscience. De là les conditions relatives d’indépendance assurées aux magistrats, qui, dans les questions de fait, ne doivent plus se considérer comme les représentants de la loi de l’État, mais comme des jurés, appelés à prononcer d’après leur seule conscience.

Il y a donc plus d’un point de contact entre l’ordre moral et le droit pénal. M. Franck n’a pas méconnu leurs liens. Il en tient le plus grand compte dans les deux dernières parties de son livre, où il traite des délits et des peines. Mes scrupules ne portent que sur la première partie, où il semble, sinon les avoir entièrement méconnus, du moins les avoir trop laissés dans l’ombre. Sauf cette réserve, la théorie qu’il oppose aux formules excessives de l’école spiritualiste est irréprochable. Il justifie le droit pénal comme une conséquence légitime et nécessaire du droit qu’a la société de se défendre et, en se défendant, de protéger tous les intérêts dont elle est la gardienne. Ce n’est pas là le simple droit de légitime défense, tel que le possèdent les individus, qui ne peuvent l’exercer que dans un péril extrême et qui l’épuisent dès qu’ils ont écarté ce péril. C’est un droit général de répression et de réparation de répression, pour ôter au coupable les moyens de nuire ; de réparation, pour préserver la société, par l’intimidation, du tort dont continuerait à la menacer l’impunité du crime ou du délit commis. M. Franck aurait pu ajouter, d’après la définition générale qu’il a donnée lui-même des droits parfaits, que ce droit est pour l’État absolument nécessaire à l’accomplissement de ses devoirs ». L’État ne pourrait, en effet, accomplir son devoir de protection à l’égard des droits individuels, si ses lois restaient dépourvues d’une sanction pénale. Le droit de punir dans la famille a le même fondement. Il y est la condition nécessaire des devoirs réciproques des parents envers leurs enfants, des enfants envers leurs parents.

Par là se trouvent nettement fixées les limites du droit de punir. Il