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le droit naturel au collège de france

science ne se confond pas avec la liberté religieuse, puisqu’elle peut s’exercer en dehors de toute religion. La liberté religieuse n’est pas davantage renfermée dans la liberté de conscience, car elle embrasse des actes qui n’obligent proprement aucune conscience, quelle que soit leur importance pour la foi. L’interdiction des processions dans les rues d’une ville est une entrave à la liberté religieuse ; ce peut être aussi une garantie pour la paix publique et pour la paix religieuse elle-même : la liberté de conscience n’en reçoit, dans tous les cas, aucune atteinte. Elle cesserait, au contraire, d’être respectée, si l’interdiction portait sur un de ces actes dont la foi fait une obligation personnelle et rigoureuse pour chaque fidèle, par exemple sur la participation aux sacrements, dans les Églises chrétiennes. Il suit de cette distinction que le droit de l’État n’est pas le même à l’égard de la liberté de conscience et à l’égard de la liberté religieuse. L’État n’a proprement aucun droit sur la liberté de conscience ; il n’a envers elle qu’un devoir de respect et de protection. Il a le même devoir envers la liberté religieuse, mais il a en même temps le droit d’en régler et d’en surveiller l’exercice. Le culte public, par son appareil extérieur, intéresse les relations des citoyens entre eux ; par les moyens dont il dispose, par les autorités qui le régissent, il n’intéresse pas moins les relations des citoyens avec l’État ; il peut même affecter les relations internationales. Il ne saurait donc revendiquer une indépendance absolue ; mais il y a une limite aux droits de l’État sur la liberté religieuse, c’est le respect de la liberté de conscience. Cette limite seule soulève des questions de droit pur ; tout le reste est affaire de sagesse politique et peut légitimement varier suivant les circonstances. On peut, pour des raisons bien ou mal entendues d’intérêt social, approuver ou blâmer les lois qui règlent, dans un État, l’exercice de la liberté des cultes : on ne peut les condamner comme contraires au droit que pour un seul motif : une violation de la liberté de conscience.

La liberté de conscience, sous la forme de la liberté religieuse, ne donnerait lieu à aucune difficulté, si elle n’intéressait que la foi de chaque croyant ; mais elle touche aussi aux droits des tiers et elle peut donner lieu à des conflits qui appellent l’intervention des pouvoirs publics. Il ne suffit pas d’invoquer un devoir de conscience pour se mettre au-dessus de toutes les lois. Il y a donc lieu pour le législateur, pour le juge, pour le pouvoir administratif lui-même, d’apprécier les véritables caractères et les conditions légitimes de la liberté de conscience. Appréciation délicate entre toutes et la plus propre à jeter le trouble dans les âmes alors même que le conflit ne va pas jusqu’à la guerre civile. Il y faut, de part et d’autre, beaucoup de sincérité et de tact. Un e seule règle s’impose. Le devoir religieux, qui ne relève que de la foi particulière d’une Église, ne saurait prévaloir contre les devoirs généraux qui font loi pour toutes les consciences, avant même d’être définis et protégés par la loi civile. On se rappelle l’affaire Mortara. Ceux qui avaient enlevé l’enfant juif, baptisé à l’insu et contre le gré de ses