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tement, par de libres conventions, s’échanger contre un capital, que gagnera-t-elle à la proclamation de sa perpétuité ?

La thèse de la perpétuité ne s’appuie, au fond, que sur des raisons de sentiment, dont toute la force est détruite par les considérations qui précèdent. On s’émeut de la misère possible et attestée, en fait, par trop d’exemples, des descendants d’un homme de génie, dont les œuvres enrichissent et continueront indéfiniment d’enrichir d’heureux spéculateurs, étrangers à sa famille. On veut qu’il y ait là une dette pour la société tout entière. Je suis très loin de contester cette dette ; mais elle n’est pas mieux assurée par le droit perpétuel que par le droit temporaire. Quel que soit le régime de la propriété intellectuelle, les héritiers d’un beau nom ne pourront compter, le plus souvent, dans leur détresse, que sur la munificence ou, pour mieux dire, sur la reconnaissance publique.

Je me résume. La thèse de la perpétuité repose sur une fausse assimilation entre un droit indéterminé et les droits parfaits, qui seuls s’imposent de toutes pièces, sauf des conditions tout extérieures, à la protection légale. Elle n’est pas mieux justifiée en fait, car elle ne serait inoffensive qu’à la condition d’être infirmée par le droit d’expropriation, et les seuls bienfaits qu’on en attende sont incompatibles avec la mobilité légitime et nécessaire qui est inhérente à toute espèce de propriété.

V

Les rapports des Églises et de l’État sont un des ordres de questions où il importe le plus de bien distinguer le point de vue propre du droit de toutes les autres considérations d’intérêt social. En droit, ces rapports ne se réclament que d’un seul principe, la liberté de conscience. M. Franck observe avec raison que « la liberté religieuse n’est pas la liberté de conscience » ; mais il a tort d’ajouter que « l’une peut bien exister sans l’autre. » La liberté de conscience serait peu de chose si elle devait se renfermer dans le for intérieur ou, du moins, ne pas dépasser l’enceinte du sanctuaire domestique. Elle est engagée dans les actes extérieurs de religion ; elle l’est aussi dans la négation publique de toute religion, car il peut y avoir un acte de conscience dans l’irréligion même. C’est ainsi que l’a toujours entendu la langue même du droit. Lorsqu’on a proposé, dans ces dernières années, aux Chambres françaises, d’un côté, d’assurer aux soldats le libre accomplissement de leurs devoirs religieux ; de l’autre, de ne plus exiger d’eux, sous forme de service commandé, la participation à certaines cérémonies religieuses, les deux propositions se sont également donné pour objet « le respect de la liberté de conscience dans l’armée ». La liberté religieuse et la liberté de conscience ont un domaine commun. Ce qui est vrai, c’est qu’elles ont aussi des domaines distincts. La liberté de con-