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le droit naturel au collège de france

puisse constituer aucun délit. Si telle était la condition de cette catégorie de droits, il faudrait refuser à la propriété intellectuelle toute garantie légale, bien loin de lui attribuer la perpétuité. Je ne vais pas aussi loin. Les droits in déterminés n’excluent pas, ils appellent, au contraire, l’intervention du législateur ; mais, par cela même qu’ils ne peuvent recevoir que de la loi leur détermination, ils lai-sent place, inévitablement, à un certain arbitraire. De là la reconnaissance tardive de la propriété intellectuelle de là les conditions variables auxquelles elle a été soumise dans les législations qui lui ont fait place ; de le enfin l’exclusion parfaitement legitime du principe absolu de la perpétuité.

On oublie deux choses quand on prétend imposer à la loi civile la consécration de ce prétendu principe :

1o En droit, un avantage temporaire peut toujours être converti en une propriété perpétuelle. La propriété intellectuelle, quelle qu’en soit la durée légale, est objet d’échange. Elle constitue l’équivalent d’un capital et le capital qui la représente, le capital contre lequel elle peut s’échanger, ne serait pas sensiblement différent, soit qu’elle eût une durée perpétuelle, soit qu’elle fût limitée à une durée de cinquante ans. Les espérances sur lesquelles l’acquéreur établit ses calculs n’iront jamais au delà d’un certain terme, alors même que la loi n’en fixerait aucun. Enfin le prix fût-il vraiment supérieur pour une propriété illimitée, il n’en faudrait tirer aucun argument en faveur de la perpétuité. La propriété intellectuelle, perpétuelle ou non, n’est, en effet, pour l’auteur ou pour l’inventeur, qu’un moyen de rémunération, dont les conditions n’ont rien d’absolu et qui reçoit de la loi seule sa détermination nécessaire.

2o En fait, la propriété intellectuelle ne sera jamais, je ne dis pas dans la suite indéfinie des siècles, mais même après deux ou trois générations, immobilisée dans l’ensemble d’une même famille. E le ne peut échapper aux mêmes vicissitudes que la propriété matérielle. Si elle n’a pas été vendue par l’auteur ou l’inventeur lui même, elle sera objet de partage après sa mort, à moins qu’il ne laisse qu’un seul héritier, et, si elle ne l’est pas à la première génération, il est peu vraisemblable qu’elle jouisse du même privilège à la seconde. Ainsi, même en ne supposant aucune cession, il arrivera toujours tôt ou tard que quelques-uns des descendants de l’auteur ou de l’inventeur n’auront aucune part aux produits de son œuvre. La conservation indéfinie par quelques-uns des héritiers du sang est elle-même d’ailleurs une hypothèse invraisemblable. La propriété intellectuelle, comme la propriété matérielle, finira toujours par sortir entièrement de la famille de son créateur et elle en sortira même forcement, pour peu qu’elle ait quelque valeur, par l’exercice de ce droit d’expropriation qui est destiné à corriger les abus inhérents à sa perpétuité. Il est remarquable, en effet, qu’on ne reconnaisse la perpétuité que pour la détruire, en substituant à la disposition indéfinie de l’œuvre intellectuelle une indemne capitalisée. Puisque la propriété intellectuelle, avec une durée limitée, peut direc-