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ont été prouvées par des considérations exactes, et de celles qui, examinées avec soin, ne présentent aucun doute, tandis que les Sceptiques estiment qu’au point de vue de la raison, les représentations méritent également d’être ou de ne pas être crues[1].

Enfin les Académiciens et les Sceptiques sont persuadés de certaines choses, mais non de la même façon. Carnéade et Clitomaque pensent que la croyance à une chose probable peut être accompagnée d’une forte inclination, comme celle du prodigue qui donne son assentiment à celui qui lui conseille de vivre avec profusion. Les Sceptiques, au contraire, cèdent simplement sans aucune inclination pour quoi que ce soit, comme l’enfant qui obéit sans résistance à son précepteur[2].

En résumé, on ne peut pas faire de Carnéade un Sceptique pur, parce que d’un côté il nie que les choses soient compréhensibles, au lieu de suspendre son jugement sans se prononcer sur leur compréhensibilité ou leur incompréhensibilité ; de l’autre, parce qu’il cherche, dans sa théorie de la probabilité, à approcher, par la connaissance de plus en plus précise de la représentation considérée au point de vue subjectif, de la vérité objective elle-même, qu’il ne croit toutefois jamais pouvoir atteindre. Les Sceptiques eussent pu admettre, quoiqu’ils ne l’aient fait qu’imparfaitement, une étude du phénomène considéré en lui-même, qui eût eu pour résultat d’accorder à chacune des représentations une valeur subjective différente[3] ; mais ce qu’ils n’auraient jamais admis, c’est qu’on prétendît passer de la représentation elle-même à l’objet représenté, en concluant de la probabilité subjective à la réalité objective[4].

  1. Hypotyp. pyrrh., I, 33, 227.
  2. id., 33, 230.
  3. Sans doute il ne convient pas, comme le remarque Maccoll (104), d’identifier le probable de l’Académie avec le phénomène des Pyrrhoniens ; mais il ne faut pas non plus les séparer complètement, car le probable n’est autre chose que le phénomène étudié dans ses éléments et les circonstances qui l’accompagnent.
  4. Nous avons vu que Zeller faisait d’Arcèsilas un pur sceptique. Il n’y a donc rien de surprenant à ce qu’il dise que le scepticisme avait atteint avec Carnéade son plus haut point de développement. Ce que nous avons dit à propos d’Arcésilas est valable en ce qui concerne Carnéade. On peut trouver d’ailleurs la source de l’erreur de Zeller, cu se reportant à la division établie par Kant, dans sa Logique, où il oppose le dogmatisme qui est une confiance aveugle en la faculté qu’aurait la raison de s’étendre a priori sans critique, par pures notions, uniquement pour obtenir un succès apparent, et le scepticisme, qui se propose en traitant des connaissances, de les rendre incertaines. (Log., trad. Tissot, p. 125.) — Dès lors, on comprend qu’en présence d’une telle division, on ne puisse ranger Carnéade que parmi les sceptiques, mais il ne faut pas oublier que la division est incomplète. On ne peut pas plus confondre les acataleptiques avec les sceptiques qu’avec les dogmatiques, à moins de changer absolument le sens des mots. Et, comme nous avons déjà eu l’occasion de le dire, il faut, en histoire de la philosophie, prendre garde de désigner les philosophes par les noms