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PICAVET.le phénoménisme et le probabilisme

Énésidème a le premier essayé de montrer que la doctrine des nouveaux Académiciens est différente de celle des Sceptiques. Ils posent, dit-il, certains principes comme indubitables et en nient d’autres sans réserve ; les Pyrrhoniens, au contraire, sont entièrement dégagés de toute espèce de prévention dogmatique, aucun d’eux ne disant que toutes choses sont compréhensibles ou incompréhensibles, parce que, à leur avis, elles ne sont pas plus l’une que l’autre[1].

Aulu-Gelle donne à cette distinction une forme plus précise, mais moins exacte : les Académiciens, dit-il, affirment que rien n’est compréhensible, comme s’ils saisissaient cette proposition elle-même. Sous cette forme, en effet, la distinction ne peut s’appliquer à Carnéade, qui, comme nous l’avons vu, n’exceptait pas de l’universelle incompréhensibilité la proposition même par laquelle il l’exprimait.

Au contraire, la différence indiquée par Énésidème est exacte en ce qui concerne Carnéade lui-même. Sans doute Sextus nous apprend que les Sceptiques se servaient, postérieurement à l’époque où vécut Énésidème, de la formule académicienne, πάντα ἐστὶν ἀκατάληπτα ; mais il nous explique qu’il s’agit de la disposition présente du Sceptique qui n’a compris aucune de ces choses dont disputent les dogmatiques, à cause du poids égal des raisons contraires, et ne prétend nullement qu’elles soient de leur nature incompréhensibles[2]. En un mot, les dogmatiques affirmant, les Académiciens nient que les choses soient compréhensibles ; pour nous, dit Sextus, nous n’affirmons ni ne nions, nous suspendons notre jugement.

En second lieu, Carnéade se sépare des Sceptiques sur la question des biens et des maux ; comme eux, il reconnaît que quelque chose est bien, que quelque chose est mal ; mais il l’entend différemment : pour ne pas rester inactif, les Sceptiques suivent l’usage commun en ce qui concerne la distinction du bien et du mal, tandis que Carnéade est persuadé que ce qu’il appelle un bien est plus vraisemblablement tel que son contraire[3].

De même, les Académiciens disent qu’il y a quelque fin probable dans l’usage de la vie, les Sceptiques au contraire, sans rien définir à cet égard, vivent d’après les lois, la coutume et les impressions[4].

Ces différences proviennent de ce que les Académiciens admettent des représentations probables et non probables, et distinguent, parmi les premières, celles qui sont simplement probables de celles qui

  1. Photius, Bibl., p. 542.
  2. Hypotyp., I, 25, 200. — Cf. 233, 226.
  3. Hypotyp. pyrrh., I, 33, 226.
  4. id., 33, 231.