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féconds a produits, depuis Descartes jusqu’à Helmholtz, l’analyse des représentations décomposées en leurs éléments constitutifs.

Ce n’est pas tout : la théorie de la probabilité, considérée en elle-même, eût pu conduire, si les successeurs de Carnéade l’eussent suivi dans cette voie, à des résultats d’une importance exceptionnelle. Il suffit de rappeler à ce sujet les noms de Laplace et de Cournot[1].

Après avoir marqué l’importance de la philosophie de Carnéade, il nous sera plus facile de déterminer ses rapports avec le Scepticisme.

Aulu-Gelle remarquait déjà que c’était à son époque une question posée depuis longtemps et traitée par bon nombre d’auteurs grecs, de savoir si les Pyrrhoniens diffèrent des Académiciens, et en quoi ils s’en distinguent[2].

Nous devons, pour être plus précis, circonscrire le problème et nous demander, comme l’a fait d’ailleurs Sextus, si l’école de Carnéade peut être confondue avec l’école de Pyrrhon. De cette manière, en effet, nous ne serons pas exposé à comparer avec le Scepticisme des doctrines de provenance très diverse[3] dans lesquelles on peut faire un choix, de façon à les attribuer à l’école sceptique ou aux écoles dogmatiques.

Nous rappellerons d’abord la division établie par les Sceptiques eux-mêmes entre les systèmes philosophiques. Est dogmatique, dit Sextus, celui qui affirme avoir trouvé la vérité ; acataleptique, celui qui nie qu’on puisse la trouver ; sceptique celui, qui suspend son jugement sans affirmer que la vérité soit trouvée, sans nier qu’on puisse la trouver[4].

La question ainsi limitée et posée ne nous semble pas difficile à résoudre.

  1. Nous nous bornons à rappeler les conclusions remarquables auxquelles est arrivé M. Renouvier, parce qu’elles sont moins connues que les autres travaux dont nous citons les auteurs. « Ces philosophes qui défendaient le libre arbitre contre le Portique, qui reconnaissaient l’existence des probabilités ou vraisemblances qui font légitimement pencher l’esprit vers des affirmations portées au delà des purs phénomènes, admettaient tout d’abord le critère inébranlable du scepticisme et échappaient ensuite à l’incertitude universelle de tout ce qui n’était pas ce critère, en constituant une certitude mentale sur un fondement analogue à ce que le criticisme moderne appelle la croyance. » (Crit. phil., VII, i, 273.) Que M. Renouvier, désireux comme tout philosophe de retrouver ses doctrines préférées chez les anciens, ait exagéré la pensée de Carnéade, cela est possible ; mais on ne peut nier qu’il n’y ait chez l’Académicien au moins le germe de cette doctrine qu’on peut ne pas approuver, mais dont il est impossible de contester l’importance philosophique.
  2. N. attiq., X, 5.
  3. Il suffit pour s’en convaincre de se rappeler les divisions établies par les Anciens eux-mêmes entre les Académiciens.
  4. Hypotyp. pyrrhr., I, 7, sqq.