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PICAVET.le phénoménisme et le probabilisme

cune représentation, sensible ou non, n’est adéquate à la vérité ; puis, passant aux modes indirects de la connaissance, il établit l’impuissance de la dialectique et l’impossibilité d’obtenir, par la démonstration, l’évidence que ne donne pas l’intuition. Ensuite, s’attaquant aux systèmes eux-mêmes, il fait de la théologie et de la téléologie stoïciennes, comme de la théologie des autres philosophes, une critique pénétrante et hardie, dont les philosophes modernes ont reproduit plus d’une fois les parties essentielles, sans toujours se douter qu’ils ne faisaient que reprendre en cela les idées du fondateur de la Nouvelle Académie : Voltaire, Kant, Hamilton, pour ne citer que quelques-uns des plus célèbres[1], ont plus d’un point de ressemblance avec Carnéade. De plus, opposant l’une à l’autre les théories des dogmatiques sur la physique et la morale, il s’efforce de prouver qu’aucune d’elles ne peut être considérée comme exprimant la réalité d’une façon adéquate.

Enfin, quittant le domaine de l’objectivité, il essaye de répondre à ceux qui l’accusent de supprimer, par son acatalepsie universelle, toute règle de conduite, en cherchant dans la représentation considérée au point de vue subjectif un guide pour les diverses circonstances de la vie. Il étudie avec une grande pénétration ce côté de la représentation dont la connaissance importe tout autant aux dogmatiques qu’aux sceptiques et aux acataleptiques ; il cherche dans la concordance des représentations avec celles qui les accompagnent d’ordinaire, dans l’examen des éléments qui les constituent, un moyen de reconnaître celles qui, vraies au point de vue subjectif, approchent le plus de la vérité objective qu’il ne nous est pas donné d’atteindre.

Il y avait là une source féconde pour le développement ultérieur de la philosophie ; on eût même pu, en suivant cette voie, arriver beaucoup plus tôt à la création d’une psychologie positive ayant pour but l’étude des phénomènes de conscience considérés en eux-mêmes, dont la connaissance exacte doit précéder nécessairement l’examen de l’objet auquel on veut rattacher leur origine. De nos jours encore, on n’a trouvé d’autre moyen de distinguer le souvenir de la représentation présente, qu’en tenant compte de leur concordance ou de leur discordance avec les représentations auxquelles sont enchaînés l’un et l’autre[2]. De même il serait aisé de montrer quels résultats

  1. Nous ne pouvons que mentionner les emprunts des apologistes chrétiens, qui ont puisé si fréquemment dans le de Natura Deorum des arguments avec lesquels ils combattaient le polythéisme.
  2. Cf. Rabier, Cours de philosophie.