Page:Revue philosophique de la France et de l'étranger, XXIII.djvu/51

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
41
V. BROCHARD.la méthode expérimentale

comme les dogmatiques, mais épilogisme[1]. La différence[2] entre les deux est que l’analogisme, tel que le comprennent les dogmatiques, doit aboutir à la connaissance des causes, des choses cachées, d’une réalité suprasensible, tandis que l’épilogisme est uniquement relatif aux phénomènes : il permet seulement de prévoir des faits, actuellement inobservables, mais que l’expérience peut et doit constater en d’autres circonstances.

De plus, et c’est un point capital, ils estiment que l’épilogisme fait connaître non la réalité, mais la possibilité [3]. Tant que l’expérience n’a pas prononcé, on ne dépasse pas la vraisemblance. Le passage du semblable au semblable n’est pas la découverte (εὕρεσις), mais seulement la voie qui y conduit[4]. En revanche, aussitôt que l’expérience a confirmé les conclusions de l’épilogisme, on possède la certitude, n’eût-on fait qu’une expérience. Par là, l’expérience savante (τριβική) diffère des observations antérieures qui doivent être fréquemment répétées.

En même temps qu’ils insistent sur l’origine purement empirique de toute connaissance médicale, les empiriques du IIe siècle se distinguent avec soin de ceux qui se contentent d’une simple routine, et ne font aucun usage de la raison. Entre les dogmatiques qui, par des raisonnements logiques, et sans observation[5], prétendent découvrir la vérité, et l’érudition sans critique qui se borne à amasser des faits, il y a un moyen terme. On peut faire une place au raisonnement sans lui faire une place exclusive. L’empirique pourra indiquer des causes, faire des démonstrations, mais toujours en s’appuyant sur des faits directement observés. En ce sens, il constitue un art, il instruit les autres[6]. Par là il diffère de ceux qui ne recherchent qu’une érudition irrationnelle. Pour parler un langage moderne, c’est vraiment la méthode expérimentale et non un vulgaire empirisme, dont ils font la théorie[7].

  1. Ibid., p. 48. — Cf. De Sect., II, p. 66, v. I.
  2. De Sect., ibid.
  3. Subf. emp., p. 53, 55.
  4. De Sect., ibid.
  5. Subf. emp., p. 49 : Dogmatici (credunt) eis quæ ex assecutione naturali rerum adinveniuntur per rationem absque observatione. »
  6. Ibid. p. 49.
  7. Ibid., p. 50 : Quos (qui irrationalem eruditionem pertractant) nominat Menodotus, tribacus, ipse fingens hoc nomen a tribone, consueto existente hoc nomine antiquis medicis in his qui attriti sunt in aliqua re : quocirca tribonem quidem dices eum qui est perfectus in exercitatione et qui didicit attritam theoriam, tribonicum verum eum qui irrationabiliter tangit artem, id est neque determinare scientem neque historie attendentem intellectu. Si autem non attendit ei, neque judicare eam temptabit. »