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A. BINET.intensité des images mentales

ment confus de leur condition. « Dormez-vous ? — Non, je ne dors pas. — Êtes-vous dans votre état naturel ? — Non, je suis sous votre puissance. » D’autres, enfin, comme Cl…, déclarent catégoriquement qu’elles sont bien éveillées et dans leur état normal. Ces diverses réponses nous montrent quelle variété il y a d’un sujet à l’autre, et quelle imprudence on commettrait en essayant de caractériser leur état par les impressions subjectives qu’ils éprouvent. Certes, il est d’une bonne méthode d’interroger la somnambule sur ce qu’elle ressent, et de la considérer à ce point de vue comme une aliénée. Je suis complètement de l’avis de M. Féré sur ce point ; on n’interroge pas assez les sujets, on ne les fait pas assez causer. On se contente trop d’expériences solennelles, faites devant plusieurs assistants. Il est bon de savoir ce que le sujet pense de son état[1]. Cependant, il ne faut pas aller trop loin dans cette voie, et prendre au pied de la lettre tout ce qu’il dit.

Examinons comment il est possible de savoir si les effets qu’on obtient en impressionnant le sujet résultent directement de l’impression exercée, ou sont produits par un acte intellectuel interposé.

Quelques opérateurs semblent croire que ce dernier cas se présente toujours, et on arriverait à cette même conclusion — qui pour nous est exagérée — si on interrogeait en somnambulisme des sujets qui ont été habitués à de nombreuses expériences. Un jour, m’adressant à G…, sur laquelle on a fait à la Salpêtrière un grand nombre de fois la suggestion de monoplégie brachiale, j’ai voulu lui faire vider son sac et savoir tout ce qu’elle avait appris sur cette expérience bien connue ; je constatai qu’elle aurait pu faire un véritable cours sur les paralysies par suggestion. Elle sait que ce sont des paralysies psychiques, produites par l’imagination ; elle sait aussi qu’on les provoque également par un choc sur l’articulation ; elle sait que la zone d’anesthésie est aussi grande que la zone paralysée ; elle sait que les réflexes sont exaltés, que le sens musculaire est perdu, etc. Elle connaît également les caractères de la contracture somnambulique, son mode de destruction et de provocation ; elle connaît les phénomènes de contraste chromatique produits par les hallucinations colorées. Elle sait enfin comment on s’y prend pour endormir un sujet et le suggestionner, si bien que j’ai pu un jour lui donner en somnambulisme l’ordre d’endormir après son réveil la nommée Cl…, son amie, et de la suggestionner dans un sens déterminé ; l’expérience,

  1. Il y a, dit-on, le danger de la simulation. Soit, mais les aliénés ne peuvent-ils pas simuler, et ne les a-t-on pas pris souvent sur le fait ? Cela n’a jamais été allégué comme une raison suffisante pour se dispenser de les interroger sur leur état.