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A. BINET.intensité des images mentales

rons les effets des suggestions d’anesthésie systématique. Une malade étant endormie, on lui affirme qu’elle ne voit pas M. X…, présent à l’expérience ; si la suggestion est bien donnée, elle peut réussir alors même que M. X… est une personne connue de la malade depuis plusieurs années. Au réveil, la malade ne voit pas la personne désignée ; tantôt elle ne la voit pas du tout ; tantôt elle la voit sans la reconnaître. Si alors on lui demande des nouvelles de M. X…, le plus souvent elle reconnaît ce nom et peut se rappeler distinctement la personne. La paralysie n’est pas compliquée d’amnésie. Mais si la suggestion persiste pendant plusieurs jours et qu’on ne fasse rien pour la supprimer, elle s’aggrave ; le souvenir de la personne invisible s’efface peu à peu, et la malade non seulement ne perçoit plus M. X…, mais elle ne se souvient plus de son existence. Dans ce cas, la paralysie produite par suggestion fait tache d’huile. Le souvenir que nous avons d’une personne connue depuis des années est formé par un groupe très considérable d’images associées les unes aux autres ; le centre de ce groupe, son noyau, est constitué par le souvenir de la personne physique ; et tout autour se groupent des images moins solides, représentant les diverses circonstances dans lesquelles nous avons vu cette personne, les conversations que nous avons eues avec elle, etc., etc. Nous voyons ici l’expérience hypnotique confirmer la solidarité de ces diverses images. La suggestion détruit pour un temps le noyau central du groupe, la vision de la personne physique ; la paralysie de ce premier élément se propage, en suivant les lignes des associations des idées, aux autres images qui composent le souvenir total, de façon à abolir complètement tous les événements qui se rattachent à la personne supprimée.

Une expérience directe met ce phénomène plus en relief. Nous suggérons à une somnambule, G. par exemple, qu’à son réveil, elle ne nous entendra pas quand nous prononcerons les mots parapluie et livre ; elle y consent. À son réveil, la suggestion persiste ; l’audition de ces deux mots est paralysée. Or, voici quel est l’effet de cette surdité verbale restreinte à deux mots. Si nous lui présentons un parapluie, elle croit que c’est une canne ; si nous l’ouvrons, elle s’imagine que nous avons mis une toile au bout de notre canne ; l’objet lui parait affreux. De même, si nous lui mettons un livre sur les genoux, elle croit que c’est un paquet de chiffons (il s’agissait d’un livre broché et privé de sa couverture). Ainsi, la paralysie du mot a entraîné la paralysie de l’image associée à ce mot.

Il est possible d’expliquer tous ces faits de deux façons ; la première explication est celle que nous avons indiquée ; la paralysie passe d’un élément nerveux à un élément associé. On peut aussi