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V. BROCHARD.la méthode expérimentale

Stuart Mill a écrit, dans son Système de Logique : « L’induction des Anciens a été très bien exposée par Bacon sous le nom d’inductio per enumerationem simplicem, ubi non reperitur instantia contradictoria.[1] » — On voit que cette assertion n’est pas exacte, du moins en ce qui concerne les médecins empiriques. Rien ne marque mieux le caractère scientifique de leur méthode que le soin qu’ils prennent de compter les cas défavorables : introduire dans l’observation le nombre et la mesure, c’est le vrai moyen d’arriver à la vérité.

C’est cette expérience savante (τριβική) qui constitue l’art. Quand on a imité non seulement une ou deux fois, mais très souvent (on ne fixe pas le nombre des observations afin d’échapper à l’argument du sorite) le traitement qui a d’abord soulagé ; quand on a constaté la régularité des effets, on arrive au théorème (θεώρημα), qui formule la totalité des cas semblables. L’art est l’ensemble des théorèmes.

Il importe aussi de distinguer avec soin les caractères propres et les caractères communs des maladies et des remèdes. Pour les maladies, il faut considérer d’abord les symptômes : un symptôme est un cas contraire à la nature. La maladie est un concours (συνδρομή) de plusieurs symptômes qui surviennent, persistent, augmentent, diminuent et cessent en même temps. Les uns sont constants (συμβαίνοντα) ; les autres, accidentels (συνεδρεύοντα). Il y a aussi des circonstances internes et externes qui doivent entrer en ligne de compte : l’âge, le tempérament, le climat, le sol, la saison.

Par cette étude attentive, on obtient, non pas, comme disent les dogmatiques, la détermination, mais la distinction de la maladie[2]. On peut être tenté de ne voir ici qu’une querelle de mots. Les empiriques veulent dire qu’ils s’en tiennent uniquement aux phénomènes que l’observation découvre : ils s’interdisent toute affirmation touchant la nature ou l’essence intime de la maladie. En aucune occasion, au risque de paraître subtils, ils ne négligent de distinguer leur langage de celui des dogmatiques.

2o  La vie est courte : il est impossible au médecin d’observer lui-même tous les cas intéressants. Il profitera donc des observations de ses devanciers : c’est l’histoire. Mais il ne faudra pas accueillir indistinctement et sans critique tous les renseignements : on tiendra compte[3] de l’accord des témoignages, de la situation et de la valeur morale des témoins, enfin de la concordance des faits attestés avec ceux qu’on peut soi-même observer.

  1. Syst. de log., III, 3, 2.
  2. Subf., p. 48.
  3. Ibid., p. 51.