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A. BINET.intensité des images mentales

et que toute idée qu’on lui suggère devient hallucinatoire parce que cette idée atteint son maximum d’énergie. Mais cette raison n’est vraie qu’en partie. Il ne faut pas croire qu’on ne puisse pas causer avec une hypnotique sans lui donner des hallucinations. Nous avons pour notre part maintes fois échangé des idées avec les sujets, leur demandant ce qu’ils pensaient de tels faits, s’ils se souvenaient de tel événement : les objets que nous nommions dans le cours de notre conversation ne devenaient pas nécessairement hallucinatoires. L’état organique du somnambule n’explique donc pas complètement comment un mot peut l’halluciner, puisque souvent ce mot ne l’hallucine pas.

C’est qu’en effet, lorsqu’on veut produire une hallucination, il ne suffit pas d’indiquer une idée au somnambule ; qui dit suggestion dit affirmation. L’opérateur, quand il veut que la suggestion réussisse, doit répéter et accentuer la suggestion, absolument comme tout individu qui veut en convaincre un autre doit insister et répéter plusieurs fois les mêmes paroles. J’ai recueilli plusieurs faits qui montrent que l’idée seule de la suggestion ne suffit pas pour la réaliser. J’endormais habituellement une de mes malades en lui montrant une clef à laquelle j’avais attaché la suggestion de sommeil ; cette suggestion avait si bien réussi qu’il me suffisait, tout en causant avec elle, de jeter négligemment la clef sur la table pour qu’elle tombât brusquement en somnambulisme[1]. Mon sujet eut une après-midi une attaque d’hystérie ; on sait que les attaques ont pour effet de détruire ou d’affaiblir les suggestions antérieures. Le lendemain, je présente la clef à la malade ; elle la regarde, et, au lieu de tomber instantanément en somnambulisme, elle sourit. Je lui demande :

« Pourquoi souriez-vous ?

— C’est que je me rappelle qu’autrefois la vue de cette clef me faisait dormir ; et maintenant, cela ne fait plus rien. » Ainsi cette malade se souvenait de la suggestion, elle en avait conservé l’idée, mais cette idée était devenue inefficace, parce qu’elle s’était affaiblie. Un autre jour, je donne à cette même malade une suggestion compliquée ; puis j’ajoute, me parlant à moi-même :

« Pourvu qu’elle s’en souvienne à l’état de veille.

— Si vous voulez que je m’en souvienne, me dit la malade, il faut que vous me l’ordonniez. »

  1. La mème clef, présentée par une autre personne en mon absence, produisait également le sommeil ; seulement la malade, dans ce sommeil, n’était en rapport qu’avec moi ; elle n’obéissait qu’à mes suggestions, moi seul pouvais la toucher sans qu’elle se défendit, et la réveiller. Je note en passant ce mode particulier et tout nouveau, de production du somnambulisme électif.