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lieu ; ce résultat ne dépend pas des muscles du bras gauche, mais seulement d’un déplacement de force nerveuse dans les centres moteurs.

À l’appui de cette comparaison entre le phénomène musculaire et le phénomène d’idéation, la plupart des causes qui agissent sur la puissance motrice agissent également sur le pouvoir de visualisation. De même que chez un individu hyperexcitable l’intensité de l’effort moteur s’accroît sous l’influence d’excitations périphériques, telles que la vision du rouge ou la sensation d’une odeur forte, comme le musc[1], de même, sous l’influence de ces excitations dynamogéniantes, l’image mentale qui est présente à l’esprit du sujet devient plus intense.

Cette qualité de l’intensité est généralement négligée en pratique, car ce que nous recherchons dans les images, c’est une qualité tout à fait différente et indépendante de la première, c’est-à-dire la vérité. Mais la vérité n’est rien sans l’intensité. Quand deux raisonnements sont inégalement forts, c’est le plus fort qui triomphera, qu’il soit vrai ou qu’il soit faux. On ne parle pas de vérité en mécanique ; il n’y a que les forces qui agissent ; il en est de même en psychologie : toute discussion, toute délibération est au fond un problème de cinématique. En étudiant l’intensité des images, nous étudions en réalité la manière dont, en fait, se fondent nos convictions, vraies ou fausses.

Les expériences d’hypnotisme vont nous servir d’introduction et de guide dans ce sujet, qui présente un grand nombre de difficultés.

Prenons la suggestion d’une hallucination ; on sait en quoi elle consiste : l’opérateur affirme à son sujet que tel objet existe devant ses yeux, et l’hypnotique le perçoit ; on lui dit par exemple : « Voilà un serpent ! » et aussitôt un serpent apparaît. On a déjà remarqué plus d’une fois que la suggestion n’est pas un procédé spécial à l’hypnotisme. Lorsque deux personnes causent, et que l’une des deux affirme un fait, elle se sert en réalité de la suggestion verbale ; seulement, quand la suggestion s’adresse à une personne normale, elle ne produit pas une hallucination, elle produit un état plus faible, une idée. Affirmez à une personne éveillée et non suggestible qu’elle a un couteau entre les mains, elle ne le verra pas, comme cela arrive chez l’hypnotique, mais elle en aura l’idée, la représentation mentale. D’où vient donc la différence de ces deux résultats ? D’où vient que le même mot donne à l’hypnotique une hallucination et à l’individu normal une simple idée ?

On pourrait alléguer que l’hypnotique est un sujet hyperexcitable

  1. Ch. Féré, Sensation et Mouvement, 1 vol.  in-18.