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apparaissent avec les accidents maladifs et disparaissent avec eux qu’ils existent naturellement chez ce sujet, dans l’anesthésie tactile, dans les crises, dans les somnambulismes naturels, on pensera peut-être que la dissociation est plus le fait de la maladie que de l’hypnotisme. C’est là un fait général qui se retrouve sans doute dans beaucoup d’autres perturbations mentales et dans cette science nouvelle de la psychologie pathologique, dont les philosophes, à l’exception de M. Ribot et d’un petit nombre d’autres, se sont trop peu occupés, ce fait doit jouer peut-être un rôle aussi considérable que celui de l’association dans la psychologie normale.

Il reste à dire quelques mots sur les erreurs qui ont pu être commises dans ces observations. Je ne parle pas du danger de la simulation : il ne peut paraître sérieux lorsqu’on a suivi les choses de près. Le mélange de faits maladifs réels souvent identiques aux faits artificiellement provoqués, des faits physiques que l’on ne peut simuler, des oublis nombreux dont le sujet se plaint dans la vie réelle et loin de nous, et surtout la complexité de ces phénomènes qui exigerait chez le simulateur une intelligence, une attention et une connaissance de la question ici tout à fait invraisemblables, tout empêche de faire une pareille supposition. La question de la simulation dans le somnambulisme est d’ailleurs tranchée définitivement dans les articles de M. Ch. Richet. Mais il y a d’autres dangers plus sérieux : des erreurs d’observation quand il s’agit de faits de conscience souvent simultanés et quelquefois très rapides et surtout le danger des suggestions maladroites qui enseignent au sujet le résultat prévu de l’expérience. Tout ce que je puis dire, c’est que, connaissant bien ce dernier danger, j’ai pris beaucoup de précautions. Les expériences n’ont eu lieu que devant les témoins indispensables, elles étaient préparées d’avance et ont été faites immédiatement sans aucune espèce d’explication. Le sujet n’a jamais vu d’autres somnambules et ne se doute en aucune manière de la question de l’hypnotisme[1]. Enfin, j’ai toujours rapporté les faits tels qu’ils se sont produits dès la première expérience, et je les ai comparés avec ceux qui se produisaient autrefois quand je ne songeais pas au problème actuel. Malgré cela, il est évident que des expériences de psychologie n’ont pas encore la précision des expériences de physique et qu’il est nécessaire de s’exposer à des erreurs dont la science finira toujours par tirer profit.

Pierre Janet.

  1. Le sujet curieux sur ce point ne sait même pas que je l’endors et une fois réveille ne se souvient pas d’avoir été endormi.