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PIERRE JANET.l’anesthésie systématisée

malade, encore une fois complètement guérie, ne fut plus sensible à aucune pratique d’hypnotisme.

Est-ce moi qui cette fois ai tué Adrienne en lui supprimant la sensibilité tactile qui jouait peut-être un rôle important dans cette synthèse anormale de phénomènes conscients ? Ou bien le dédoublement a-t-il disparu comme autrefois avec la cessation des troubles hystériques ? Ces troubles eux-mêmes ont-ils été dissipés par la restitution de la sensibilité, par les suggestions, ou par le simple fait du sommeil qui remplaçait les crises comme toujours ? Ou enfin doit-on voir dans ces faits un ensemble de coïncidences ? C’est ce que l’avenir apprendra peut-être si je puis suivre encore l’évolution de cette intéressante maladie.

Les observations psychologiques toujours délicates présentent ici cette difficulté de plus, qu’il faut les faire rapidement et qu’au bout de peu de jours elles deviennent impossibles. Celles que j’ai pu faire, sans être complètes, forment cependant une sorte d’ensemble d’où peut se dégager, je crois, une supposition générale. L’anesthésie systématisée, cette disparition apparente d’une sensation déterminée, tandis que toutes les autres restent intactes, a été interprétée de bien des manières. Autrefois on croyait à une véritable disparition de la sensation due à une cause objective, une sorte de nuage devant les objets. Puis on expliqua cette disparition par un état purement subjectif de la somnambule, une paralysie de ses sens produite par le commandement. Enfin on soupçonna que la sensation n’était pas réellement détruite, elle n’était que « neutralisée par l’imagination » (Bernheim), ou elle devenait une « perception inconsciente » (Binet et Féré). Je crois, si j’ajoute foi à mes propres observations sur un sujet particulier, qu’il faut aller plus loin encore dans le même sens et dire : « La sensation en apparence supprimée reste parfaitement réelle et consciente comme autrefois, elle est simplement séparée de l’ensemble des phénomènes psychiques dont la synthèse forme l’idée du moi. » On n’explique les faits dans les sciences qu’en faisant rentrer un fait plus particulier dans un fait plus général ; l’anesthésie systématisée est un cas de la dissociation des phénomènes psychiques comme les suggestions à échéance que nous avons étudiées et peut-être beaucoup d’autres faits encore. Cette dissociation elle-même est-elle un fait accidentel du sommeil hypnotique provoqué peut-être par suggestion ? Certaines observations encore insuffisantes, je l’avoue, me portent à penser que c’est au contraire l’inverse, la suggestibilité des somnambules résulte de leur état de dissociation. En outre, si l’on remarque que ces phénomènes se produisent avec la plus grande netteté sur un sujet atteint de très grave hystérie, qu’ils