Page:Revue philosophique de la France et de l'étranger, XXIII.djvu/472

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
462
revue philosophique

il arrive à cette conclusion qui est aussi la mienne : « Je crois avoir démontré que l’amaurose hystérique, que l’achromatopsie hystérique n’existent pas en tant que troubles organiques matériels ; les phénomènes sont dus à une illusion de l’esprit, la cécité des hystériques est une cécité psychique… j’ajoute que l’amaurose et l’achromatopsie suggérées dans l’état hypnotique sont de même nature que celles des hystériques[1]. »

Toutes les expériences sont donc concordantes et mettent en évidence un fait important : l’anesthésie, systématisée ou même générale, obtenue par suggestion ou produite par l’hystérie, n’est pas une véritable anesthésie, c’est-à-dire la destruction de la sensation. Les auteurs que j’ai cités le soupçonnaient bien, quand ils supposaient une perception devenue inconsciente, un raisonnement inconscient pour guider l’anesthésie. Mais j’avoue ne pas comprendre ces mots de perception inconsciente, de raisonnement inconscient. Si un phénomène n’est pas conscient, il ne peut pas être un fait psychologique, c’est-à-dire une perception ou un raisonnement, il change de nature et devient autre chose, peut-être un simple mouvement. Un raisonnement ne peut être formé dans la tête d’une personne que s’il est conscient. Dans le cas présent, pourquoi n’est-il pas connu par la somnambule ou l’hystérique ? Parce qu’un phénomène psychologique peut être conscient et ne pas être rattaché par association au groupe de sensations et de souvenirs qui constituent l’idée du moi. Quand ce phénomène se présente, il peut rester isolé et disparaître totalement après avoir rempli son rôle sans s’être associé avec aucune manifestation, sans que le souvenir en soit réveillé par aucun fait, puisqu’aucun n’est lié avec lui ; ou bien il peut s’associer avec quelques autres faits également séparés du tout de la conscience et former comme une seconde personnalité dont nous voyons un exemple chez Adrienne. En un mot, cette anesthésie n’est qu’une simple dissociation des phénomènes, telle que toute sensation ou toute idée enlevée à la conscience normale subsiste encore et peut quelquefois être retrouvée comme faisant partie d’une autre conscience.

IV

Ayant ainsi déterminé l’existence d’une conscience d’Adrienne pendant les anesthésies systématisées, j’ai voulu examiner l’étendue de cette conscience, c’est-à-dire le nombre des phénomènes dont

  1. Bernheim, De l’amaurose hystérique et de l’amaurose suggestive. Revue de l’hypnotisme, 1886, p. 71.