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LA MÉTHODE EXPÉRIMENTALE CHEZ LES ANCIENS


On a dit bien des fois que les Anciens n’ont pas connu la méthode expérimentale. S’il a toujours été impossible de supposer qu’ils n’avaient pas pensé à observer la nature, et de contester qu’Aristote par exemple ait été un observateur de premier ordre, on a pu croire, avec une apparence de raison, qu’ils n’avaient pas su s’attacher de propos délibéré à la simple constatation des phénomènes, et s’interdisant toute construction a priori, faire de l’observation une méthode. Surtout il paraissait que, sauf de rares exceptions, ils n’avaient pas connu la puissance de l’expérimentation. À y regarder de plus près, cependant, on peut trouver, non pas, il est vrai, chez les philosophes les plus illustres, ni dans la période la plus brillante de la philosophie grecque, mais dans une École de moindre renom et restée un peu dans l’ombre, une théorie déjà fort précise de la méthode expérimentale telle que nous la pratiquons aujourd’hui, parfois même des formules que ne désavoueraient pas les plus zélés partisans de ce que Stuart Mill a appelé la logique inductive. C’est chez les médecins empiriques, qui étaient en même temps des philosophes sceptiques, obligés par métier ou par système à tenir compte des faits, et à s’interdire les spéculations transcendantes, que nous rencontrons, exprimées en des termes différents de ceux dont nous nous servons, des idées fort analogues à celles qui ont prévalu chez nous depuis deux siècles. Nous nous proposons ici de résumer cette doctrine, telle qu’elle se présente sous sa forme le plus parfaite vers le iie siècle de notre ère. Remontant ensuite dans le passé, à partir de ce point fixe, nous rechercherons les antécédents de cette théorie, et les premiers essais de la pensée grecque pour substituer à la méthode a priori, reconnue impuissante, un procédé plus sûr de connaissance : c’est dans l’École épicurienne que nous apercevrons les tentatives les plus intéressantes. Ce double travail achevé, il res-