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PIERRE JANET.l’anesthésie systématisée

presque entièrement cette suppression d’une sensation avec une hallucination ordinaire, et, quand ils suppriment un objet, ils cherchent toujours à le remplacer par un autre imaginaire.

M. Bernheim a, au contraire, le mérite de distinguer très nettement l’hallucination ordinaire ou positive de cette suppression de sensation qu’il appelle hallucination négative : « Á une dame G. de mon service, je suggère qu’à son réveil elle ne me verra plus, ne m’entendra plus… je ne serai plus là. Réveillée, elle me cherche, j’ai beau lui corner à l’oreille que je suis là, lui pincer la main qu’elle retire brusquement sans découvrir l’origine de cette sensation… cette illusion négative que j’avais déjà produite chez elle dans d’autres séances, mais qui n’avait persisté que cinq à dix minutes, persista cette fois pendant tout le temps, vingt minutes que je restais auprès d’elle[1], » M. Bernhein cite d’autres exemples, mais sans varier beaucoup l’expérience. On a vivement reproché à M. Bernheim le nom qu’il a choisi pour désigner ce fait : ce n’est pas l’hallucination, dit-on, mais la suppression de la perception d’un objet déterminé qui laisse intacte la perception d’un autre objet… C’est un phénomène analogue aux paralysies systématisées du mouvement, perte de mouvements spéciaux avec la conservation des mouvements d’un autre genre, c’est une anesthésie systématisée[2]. Sans doute le fait en question se rapproche plutôt des anesthésies que des hallucinations, il n’en est qu’un degré plus faible, et à moins d’appeler l’anesthésie une hallucination négative totale, ce qui n’est pas l’habitude, il semble plus naturel de désigner ce tait par le terme que MM. Binet et Féré ont adopté. Cependant M. Bernheim a raison de ne pas faire de ce phénomène une véritable anesthésie, une véritable suppression de la sensation. « Je n’ai pas produit, dit-il, une paralysie de l’œil, le sujet voit tous les objets à l’exception de celui qui a été suggéré invisible pour lui, j’ai effacé dans son cerveau une image sensorielle, j’ai neutralisé ou rendu négative la perception de cette image, j’appelle cela une hallucination négative[3] » ; et ailleurs : « L’image visuelle est perçue, l’hystérique la neutralise inconsciemment avec son imagination[4] ». Les faits que nous avons étudiés confirment entièrement cette opinion de M. Bernheim, et si nous adoptons le mot nouveau c’est plutôt par habitude du langage que comme véritable expression des faits. Mais il ne faut pas insister outre mesure sur une question de mots.

Les derniers auteurs qui aient fait une étude spéciale de ce phé-

  1. De la suggestion. 1884, p. 27.
  2. Binet et Féré, Rev. philosophique. 1885, I, p. 23.
  3. De lu suggestion, 2e édit., 1886, p. 45.
  4. Revue de l’hypnotisme, 1886, p. 68.