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que j’ai pu recueillir forment un complément tout naturel à mes premières études sur le même sujet, c’est pourquoi j’ai entrepris d’en résumer l’essentiel.

I

Le somnambulisme provoqué de cette personne présente, outre les faits connus, un phénomène intéressant, c’est le dédoublement de la conscience. Les suggestions paraissent être exécutées inconsciemment, du moins la personne véritable L… soit éveillée, soit endormie, ne sait jamais ni ce qu’on lui a commandé ni ce qu’elle exécute. Les réflexions, les calculs quelquefois nécessaires pour l’accomplissement de certaines suggestions compliquées, sont également ignorés par L. Mais toutes ces opérations mentales n’ont qu’une inconscience apparente ; par certains artifices, en particulier en suggérant l’écriture automatique, on reconnaît que tous ces faits sont conscients, mais qu’ils sont attribués à une autre personne qui s’est baptisée elle-même du nom d’Adrienne. « C’est elle, écrit-elle, qui fait les actes suggérés et les calculs nécessaires, c’est elle enfin qui écrit à l’insu de L… » Cette écriture automatique, dont j’aurai beaucoup à me servir, se présente chez cette personne (je ne fais dans ce travail aucune espèce de généralisation) dans des circonstances particulières. Ce n’est pas pendant le somnambulisme proprement dit que ce phénomène est le mieux caractérisé, c’est ordinairement après le réveil. Le sujet semble dans son état normal. Il agit spontanément et cause avec les personnes présentes sans recevoir d’elles aucune suggestion. Mais si, profitant de sa distraction, je lui commande d’un ton bref de prendre un papier et un crayon et d’écrire, on voit la main droite faire l’acte commandé sans que la figure change d’expression et sans que la conversation soit modifiée. La main répond à mes questions et signe du nom d’Adrienne, mais la bouche parle spontanément et répond au nom de L… Cet état correspond, je crois, avec des variations individuelles, à l’état qui a été décrit souvent sous le nom de somno-vigil et dernièrement par M. Beaunis sous le nom de veille somnambulique[1]. On a critiqué ce nom en disant que cet état n’est pas de la veille. Il est évident que si on entend par le mot veille un état psychologique absolument normal, le sujet n’est pas en état de veille normale : nous n’avons pas l’habitude, quand nous sommes bien éveillés, de marcher ou d’écrire sans le savoir. Mais il ne faudrait pas en conclure que cet état soit

  1. Beaunis, Le somnambulisme provoqué, 2e édit., p. 166.