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société de psychologie physiologique

l’ouïe. Il a même déclaré, tenant à la main le flacon plein de mercure, ne lui trouver aucun poids.

Ses yeux étant bandés, nous lui avons fait soulever un poids de 11 kilogr. ; il ne s’apercevait pas qu’il tenait un objet très lourd et le lâchait sans faire aucun effort pour le retenir.

4o Nous plaçons successivement dans sa main (les yeux étant toujours bandés) un morceau de cire à modeler, une tige de bois très dur, un gros tube de caoutchouc, un journal plié en long et froissé, et nous le prions de serrer. Il ne sent aucune différence de résistance et ne s’aperçoit même pas qu’il tienne rien dans sa main.

Cette expérience nous paraît avoir une importance toute particulière, puisqu’elle montre que la disparition de la sensibilité de la peau et de toutes les parties sous-jacentes entraîne celle du sentiment de la résistance et c’est, on le sait, cette forme du sens musculaire qui a surtout servi à la psychologie classique à édifier sa théorie.

5o Nous avons attaché très solidement à L… les avant-bras sur une table avec une bande, de manière à ce qu’il ne puisse les fléchir. Nous lui avions, bien entendu, tout d’abord bandé les yeux. Nous l’avons prié alors de plier les bras et de nous dire quand il aurait accompli le mouvement. Dans toutes les expériences que nous avons faites, il a toujours cru avoir réussi à plier complètement les bras, tandis qu’en réalité ils bougeaient à peine. Nous lui avons demandé alors comment, ne voyant pas et ne sentant pas, il pouvait savoir qu’il avait plié les bras ; il nous a répondu qu’il n’en était pas bien sûr, mais qu’il croyait bien avoir accompli le mouvement, à cause du temps qu’il y avait mis.

Nous ne donnons pas cette dernière expérience comme une preuve de la non-existence du sens musculaire, car, isolée, elle est susceptible d’une double interprétation. Mais, si on la rapproche de toutes les expériences précédentes, il nous semble qu’il n’y a plus qu’une seule interprétation légitime. Au reste, nous la rapportons surtout parce que c’est très particulièrement à ce propos que les dires du sujet lui-même nous ont montré l’importance de la notion du temps dans l’appréciation des mouvements, lorsque les renseignements fournis d’ordinaire par les sensations font défaut.

Ces expériences diverses nous amènent à penser que la disparition de la sensibilité superficielle et profonde entraîne avec elle la disparition du sens musculaire ; que, s’il y a encore, les yeux fermés, quelque appréciation des mouvements, elle est due surtout à la connaissance du temps qu’il faut pour les effectuer, peut-être aussi à une obscure conscience des modifications de la respiration. Si des mouvements peuvent encore être accomplis — et ils ne le sont qu’imparfaitement, lorsque la vue ne les dirige pas (mémoire motrice) — c’est grâce, d’une part, à l’habitude, de l’autre, au pouvoir moteur des images.

E. Gley et L. Marillier.