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le nom n’est pas inconnu aux lecteurs de cette Revue, vient de réunir en une brochure deux articles publiés d’abord dans les Annales de philosophie chrétienne. L’auteur ne s’est pas proposé pour but d’étudier la série des phénomènes physiologiques et psychologiques par lesquels se forme et se constitue en nous l’idée des objets matériels ; il se place au point de vue métaphysique ; il se demande ce que vaut la connaissance que nous avons du monde extérieur et comment elle se justifie.

Considérons tout d’abord le réalisme proprement dit et l’opinion soutenue par Hamilton que la connaissance du non-moi est directe et immédiate comme celle du moi. Elle est inacceptable : la clarté des rêves et des hallucinations ne le cède en rien à celle des perceptions ; et d’un autre côté si nous examinons les données des sens, même celles de la vue et du toucher, nous ne trouvons nulle part une connaissance directe et immédiate de quelque objet extérieur. D’après Maine de Biran, l’existence de la matière nous est attestée immédiatement dans le sentiment de l’effort volontaire qu’il faut déployer pour vaincre les résistances ; mais les sensations musculaires que nous éprouvons alors sont, comme toutes les autres, des phénomènes psychiques qu’il nous a fallu interpréter.

Nous en tiendrons-nous donc à l’idéalisme pur ? Mais il nous est impossible de regarder les phénomènes intellectuels que nous observons en nous comme des phénomènes ultimes ; il nous faut à toute force en trouver une explication et nous n’avons d’autre refuge que le réalisme hypothétique ou cosmothétique.

Analysons la connaissance que nous avons des choses : elle se compose de deux sortes d’éléments ; il en est auxquels on ne saurait attribuer une valeur objective, comme le son, la couleur, l’odeur, la saveur ; on n’en peut dire autant des idées d’étendue, de temps et de masse. Toutes les propriétés des corps, tous les phénomènes physiques s’expliquent, comme le soutenait Descartes, par les lois de l’arithmétique, de la géométrie et de la mécanique.

La question de la connaissance du monde extérieur est donc ramenée à celle de la certitude des vérités mathématiques. L’empirisme, dont le plus illustre représentant est Stuart Mill, ne peut, selon M. Lechalas, en expliquer l’universalité et la nécessité.

Ces vérités ne sont autre chose, comme le disaient Bossuet et Fénelon, que Dieu lui-même, soleil des intelligences, qui les éclaire toutes. « Il y a en nous, ainsi que le dit M. Ollé Laprune, un sens divin qui nous révèle le monde des vérités éternelles, comme le sens intime nous révèle notre moi. » Malebranche avait donc raison et il nous faut revenir à la théorie de la vision en Dieu, non sans la modifier toutefois, car ce que nous voyons en Dieu ce ne sont pas les idées des objets particuliers, mais les vérités mathématiques, qui sont les principes mêmes des choses et qui fondent la certitude de notre connaissance du monde extérieur. C’est cette solution bien inattendue à notre époque et de la part d’un homme de science, ce retour à un système depuis longtemps réfuté et traité de chimère dès le xviie siècle, qu’il nous a paru intéressant de signaler.

E. Joyau.