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l’état polyidéique du sommeil somnambulique.) Les conditions les plus favorables à la suggestion mentale sont de la part du sujet un état de monoïdéisme naissant, où il ne peut avoir d’autre idée que celle qu’on lui suggère, de la part de l’opérateur une attention profonde qui se concentre tout entière sur une seule idée ou une seule image[1]. Le sujet récepteur ne doit pas réfléchir ni deviner, mais subir l’action de l’idée transmise ». L’hyperesthésie des sens ne fera que gêner le phénomène au lieu d’aider à sa production, ou bien nous aurons affaire à une transmission apparente de la pensée et non à la suggestion mentale. Comment cette action directe de la pensée peut-elle s’expliquer ? D’abord, à vrai dire, il y a contradiction à parler d’une action de la pensée : elle est de sa nature subjective, interne ; ce n’est pas une force, mais une manière d’être, un aspect d’une certaine classe de forces, elle n’agit pas plus qu’elle ne se transmet. Une idée, une image c’est l’aspect interne d’un certain ensemble de phénomènes cérébraux, qui, comme tous les phénomènes objectifs, sont des phénomènes de mouvement. Ce sont ces mouvements, corrélatifs organiques des états de conscience, qui peuvent agir à distance et modifier directement l’état cérébral du sujet sur lequel on expérimente. Or c’est, on le sait, la loi générale de tout mouvement de se transmettre de proche en proche dans tous les sens. Certaines espèces de mouvements se propagent mieux à travers certains corps : ainsi les métaux conduisent l’électricité, les nerfs l’influx nerveux, etc., et alors ils se propagent sans transformation. S’ils ne rencontrent pas ces conducteurs appropriés, ils se transforment. C’est ainsi que le mouvement de translation d’une pierre arrêtée dans sa chute se transforme en chaleur. Mais ce mouvement transformé vient-il à atteindre un milieu identique à celui où il a pris naissance, il subira une nouvelle transformation et reprendra son caractère primitif. C’est ce que M. Ochorowicz appelle la loi de réversibilité. Le téléphone et mieux encore le photophone en sont de très claires applications. Les mouvements cérébraux, qui correspondent objectivement à la pensée, mouvements dont nous ignorons la nature, se transmettent nécessairement au milieu ambiant : en se transmettant ils se transforment probablement en mouvements électriques, caloriques, etc. Ces mouvements atteignent-ils un autre cerveau qui soit dans un état identique à celui du cerveau d’où ils sont partis, ils reprennent leur caractère primitif, et l’image, l’émotion qui leur correspondait objectivement est aussitôt présente à la conscience de l’homme sur l’organisme duquel ils ont agi. Aussi M. Ochorowicz, qui distingue soigneusement entre l’hypnotisme et le magnétisme, insiste-t-il beaucoup sur l’importance du rapport magnétique. Une corde n’en fait vibrer une autre que si elle donne la même note. Cette théorie est sans doute jusqu’à présent entièrement hypothétique, mais du moins elle satisfait l’esprit : et il sera sage de s’en contenter, en attendant mieux.

  1. De la rugg. mentale, p. 252.