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REVUE GÉNÉRALE.marillier. La suggestion mentale, etc.

sûrs d’avoir éliminé toutes les autres causes qui auraient pu agir ; ce n’est pas le cas ici. Tout ce que nous pouvons dire, c’est que, dans l’hypothèse de la suggestion mentale, le phénomène que nous voyons se produire s’expliquerait aisément, que c’est l’interprétation la plus commode et en somme la plus claire : est-ce à dire pour cela qu’elle soit vraie ? Nous avons vu et M. Ochorowicz nous a montré lui-même combien il était facile de se laisser égarer par des apparences : nous ne sommes jamais très sûrs d’être à l’abri de l’action du milieu psychique, des suggestions inconscientes ; nous ne savons pas quelle est la limite de la délicatesse des sens chez certains sujets. Il serait peu scientifique de nier a priori que la suggestion mentale soit possible, mais nous devons ne l’admettre comme une réalité que si réellement toutes les autres causes qui peuvent contribuer à la production du phénomène ont été éliminées dans l’expérience. Seul un très grand nombre d’expériences, faites dans des conditions rigoureuses par un grand nombre d’expérimentateurs, permettra peut-être d’arriver à ce résultat.

J’aime peu l’expression de transmission « de la volonté » qu’emploie M. Ochorowicz. Une volition est le résultat ultime de tout un travail psychique : elle est le produit d’instincts, d’habitudes, de tendances motrices, d’images, d’idées qui se combinent et réagissent les unes sur les autres de cent manières différentes. Si quelque chose se transmet, ce sont bien plutôt les éléments de la volonté que la volonté elle-même. Au reste, ce dont il s’agit le plus souvent, c’est de tendances motrices : l’expérimentateur donne au sujet l’ordre mental d’exécuter un mouvement et le sujet l’exécute. Depuis les observations de Puységur, les faits ont été constatés par plusieurs psychologues et plusieurs physiologistes, mais dans toutes les expériences où le sujet et l’expérimentateur sont voisins l’un de l’autre, les causes d’erreur sont très nombreuses il est bien plus facile de suggérer involontairement un mouvement qu’une image, et le sujet ne peut choisir qu’entre un nombre d’actes toujours assez restreint. Dans cet ordre de recherches, les expériences les meilleures de beaucoup sont celles où le sujet est séparé de l’expérimentateur par une longue distance : le sommeil seul a été obtenu dans ces conditions. Les expériences de M. Pierre Janet et du Dr Gibert au Havre, celles du Dr Héricourt, les faits rapportés par le Dr Dusart semblent confirmer les résultats auxquels étaient arrivés autrefois le baron du Potet et le Dr Foissac et qui avaient été au reste soumis au contrôle d’une commission médicale[1]. M. Héricourt ne cite qu’une seule expérience faite à grande distance (environ 300 mètres) qui ait réussi, mais voici ce qu’il a observé et qui est fort intéressant. « Étant dans un salon avec Mme D. je lui disais que j’allais essayer de l’endormir d’une pièce voisine, les portes étant fermées. Je passais alors dans cette pièce avec la pensée bien nette de la laisser éveillée ; quand je

  1. De la suggest. ment., pp. 409-415.