Page:Revue philosophique de la France et de l'étranger, XXIII.djvu/416

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
406
revue philosophique

pages d’un livre qu’il a lui-même sous les yeux, mais il faut lui dire les premiers mots du passage que l’on veut qu’il récite. Mais le sujet avait lu le livre deux fois peu de temps auparavant : l’extrême vivacité des souvenirs dans le somnambulisme explique le phénomène[1].

Des mouvements commandés mentalement sont exécutés, mais le sujet est un ami de M. Ochorowicz, vivant avec lui : il était fréquent qu’ils eussent en même temps les mêmes idées : puis les mouvements ordonnés étaient des gestes très communs dont le nombre est fort restreint et qui pouvaient être devinés au hasard. Dans une expérience de table tournante, le nom de la grand’mère d’une personne qui n’était pas à la table, nom que tout le monde croyait ignorer, fut indiqué. Vérification faite, une des personnes assises à la table le connaissait[2]. Une table frappe 23 coups ; la personne dont M. Ochorowicz demandait l’âge avait vingt-trois ans. Mais, dit-il, « lorsque la table après avoir frappé 23e coups s’arrêta un moment, je me suis empressé de dire : « C’est juste » ; or avant d’arriver au 23e coup, la table s’arrêtait aussi parfois et je ne disais rien[3]. Souvent c’est tout simplement une association d’idées qui fournira l’explication que l’on cherche, et toutes les fois que plusieurs personnes sont réunies pendant un certain temps, il y a grand chance que les mêmes associations amènent au même moment les mêmes pensées dans leurs esprits. On cause dans un salon de la politique coloniale et aussitôt après une dame se met au piano. Quelque temps après on cause de nouveau du même sujet : vous ordonnez mentalement à la dame d’aller au piano, elle y va. Il faut aussi se mettre en garde contre les habitudes que l’on donne, sans le savoir, aux sujets que l’on endort, contre l’extrême acuité de leur sens lorsqu’ils sont en somnambulisme. Ils perçoivent parfois de très légers courants d’air produits par les gestes, des différences de température extrêmement faibles qui suffisent à les guider. C’est à des sensations cutanées, spécialement à des sensations thermiques et à des sensations olfactives que semble dû le prétendu pouvoir de certaines somnambules de deviner les maladies de ceux qui viennent les consulter. La sagesse consiste à se méfier. M. Ochorowicz essaye de provoquer la catalepsie par ordre mental : il lève le bras du sujet, le bras reste levé. Tout à l’heure, lorsqu’il examinait l’état des muscles, le bras retombait. Mais c’est qu’il produisait d’ordinaire l’état cataleptique du bras, en le soulevant d’une main et en faisant de l’autre quelques passes sur lui. Une association entre une image et un mouvement explique tout : il produisait la catalepsie en cherchant à la vérifier. S’il ne la produisait pas tout à l’heure, c’est qu’en réalité le mouvement n’était pas le même. « On soulève autrement un bras pour le faire retomber, et autrement pour voir si par hasard il ne restera pas

  1. Ibid., p. 8
  2. Ibid., p. 11
  3. Ibid., p. 12