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hac commentitia declinatione defendere[1]. Il est inutile, disait-il, d’admettre un mouvement sans cause et de devenir la risée des physiciens, pour maintenir la liberté. Il suffit de faire de notre volonté la cause de ce mouvement. Puis, combattant Chrysippe, il dirigeait contre lui l’argumentation suivante : Si toutes choses arrivent par des causes antécédentes, tout se fait par un enchaînement naturel. S’il en est ainsi, la nécessité produit toutes choses, et rien n’est en notre pouvoir. Or, il y a quelque chose qui est en notre pouvoir, donc tout ce qui arrive n’est pas produit par le destin. Il ne sert à rien d’objecter que si tout ce qui doit arriver est vrai de toute éternité, de manière qu’il se produise certainement comme il doit se produire, il en résulte que tout se fait par un enchaînement naturel. Car il y a une grande différence entre les cas où une cause naturelle rend vrai de toute éternité ce qui doit arriver et ceux où l’on cherche, sans une cause naturelle, agissant de toute éternité (sine æternitate naturali), si l’on peut connaître comme vrai ce qui doit arriver. Apollon, disait Carnéade, ne peut prédire que les événements dont la nature contient en elle les causes, de manière à ce qu’ils se produisent nécessairement (ne Apollinem quidem futura posse dicere, nisi ea, quorum causas natura ita contineret, ut ea fieri necesse esset. Il ne saurait révéler le passé, qui n’a laissé aucune trace, à plus forte raison ne saurait-il révéler l’avenir. Ce n’est que par la connaissance des causes qui produisent chaque chose, qu’on peut savoir ce qui doit arriver. Apollon, ne trouvant dans la nature aucune cause disposée par avance (nullis in rerum natura causis præpositis), n’eût pu dire pourquoi Œdipe devait nécessairement tuer son père[2].

Ainsi Carnéade détruisait des deux côtés à la fois la croyance au Dieu des Stoïciens : en montrant que le destin, identique pour eux à la Providence, n’est qu’un vain mot, et que la divination, sur laquelle reposait leur croyance, est sans fondement et sans valeur.

Les Stoïciens avaient essayé de régénérer le polythéisme en l’interprétant d’après leurs doctrines philosophiques ; au lieu de combattre la religion, comme les Épicuriens, pour détruire la superstition, ils essayèrent de l’améliorer en introduisant des idées philosophiques dans les croyances populaires. Dieu étant, selon eux, le feu artiste et raisonnable, qui pénètre et circule partout (πνεῦμα διῆκον δι’ ὅλου τοῦ κόσμου), prend différents noms selon le lieu où il se trouve et

  1. De Fato, XI. Nous ne pouvons qu’indiquer ici les objections de Carnéade sans exposer en détail les opinions de Chrysippe.
  2. Des deux manières de prédire l’avenir que recommandaient les Stoiciens, Carnéade ne conserve que l’une — et la meilleure ou plutôt la seule bonne — celle qui procède par l’observation. (De Fato, 13, 14, 15.)