Page:Revue philosophique de la France et de l'étranger, XXIII.djvu/398

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
388
revue philosophique

puyer sur leur témoignage que sur celui du vulgaire[1]. Quant au second argument, Carnéade commençait par montrer que la divination n’a pas de matière à laquelle elle puisse s’appliquer : on ne peut prévoir par elle ni ce que perçoivent nos sens[2], ni ce qui est un produit de l’art[3], ni ce que traitent les sciences[4] ; ni ce qui concerne la philosophie[5], soit qu’il s’agisse de morale, de physique ou de logique ; ni ce dont s’occupe la politique[6]. On ne saurait non plus connaître par elle quels vents doivent souffler, quels résultats auront telles ou telles maladies, comment se passeront certains événements considérés comme fortuits et qui sembleraient devoir être du ressort de la divination[7]. Que si au contraire les Stoïciens dénient toute action à la fortune[8], en soutenant que tout se produit fatalement de toute éternité, on en conclura que la divination est inutile[9]. Enfin Carnéade s’attaquait aux différentes espèces de divination, aux prédictions tirées des entrailles des victimes, du vol des oiseaux, des éclairs, des prodiges, des apparitions, etc. ; il remarquait que bien souvent les témoignages cités venaient de personnes incompétentes[10] ; que bon nombre des exemples rapportés étaient le résultat d’un hasard qui avait amené les événements prédits, tandis qu’on avait négligé de relever les cas où la prédiction ne s’était pas accomplie[11].

Dieu, disaient les Stoïciens, est un animal éternel, raisonnable, parfait ou intelligent, heureux, exempt de tout mal, gouvernant par sa Providence le monde et tout ce qu’il contient[12]. Carnéade, après avoir combattu les arguments par lesquels ils établissaient l’existence de Dieu, s’attaquait à leur conception de la divinité. Il deman-

  1. Il semble qu’on ait d’autant plus de raisons de le faire, que Carnéade avait employé cet argument pour l’ensemble de la physique. — Cf. ce que dit Cicéron des premiers principes.
  2. De Divinat., II, 3, 9, sqq. Cicéron indique lui-même qu’il reproduit l’argumentation de Carnéade.
  3. id., II, 3, 9.
  4. id., II, 3, 10.
  5. De Divinat., II, 4, 10.
  6. id., II, 4, 11.
  7. id., II, 4, 14 : Quæ est igitur, aut ubi versatur fortuitarum rerum præsensio quam divinationem, vocas ?
  8. id., II, 5 à 8. Carnéade a combattu cette théorie. — Cf. infra.
  9. id.
  10. De Natura Deor., III, 11, 12, 13 : Pourquoi, se demande Cicéron, Castor et Pollux n’ont-ils pas annoncé la victoire des Romains à Caton, le prince du Sénat, plutôt qu’à Vatinius, un homme du peuple, crédule comme comme tous les ignorants ? — Cf. Renan, Vie de Jésus, préface.
  11. De Divinat., I, 13, 23 : Casu perfici possint, inquis (Carneades).
  12. Diog., VII, 147. — Cf. Cic., Acad. pr., II, 37, 119 : hunc mundum esse sapientem, habere mentem, quæ et se et ipsum fabricata sit et omnia moderetur, movent, regat.