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PICAVET.le phénoménisme et le probabilisme

même, » semble plutôt indiquer, comme le remarque Zeller[1], la résignation en face des nécessités naturelles, que la crainte de la mort. De même, la réponse qu’il fit après avoir demandé du poison à ceux qui lui disaient qu’Antipater en avait pris pour mourir : « Apportez-moi du vin doux, » ne témoigne nullement qu’il ait manqué de courage en présence de la mort. Il continuait jusqu’à son dernier souffle la lutte qu’il avait entreprise contre les Stoïciens, et se servait encore contre eux de la plaisanterie, de l’arme qu’il avait maniée avec tant de succès pendant sa vie.

À sa mort, dit Diogène, il y eut une éclipse de lune, comme si l’astre le plus beau, après le soleil, avait voulu ainsi témoigner sa douleur ; le soleil lui-même s’obscurcit, ajoute Suidas[2]. Ses admirateurs ne pouvaient admettre qu’un homme qui avait fait une si vive impression sur ses contemporains, n’eût pas été pleuré par la nature, qui perdait en lui une de ses plus nobles productions. Les hommes qui suivirent, montrèrent, par la vivacité de leurs attaques ou de leurs éloges, qu’ils appréciaient la valeur du philosophe, comme l’avaient appréciée leurs prédécesseurs[3].

Carnéade n’écrivit aucun ouvrage, excepté peut-être quelques lettres dont l’authenticité est douteuse ; il laissa à ses disciples Clitomaque et Zénon d’Alexandrie le soin d’exposer ses doctrines[4].

I

Essayons maintenant d’exposer la doctrine de Carnéade. Cicéron semble avoir suivi, un peu confusément peut-être, dans les Premiers Académiques, la marche indiquée par Clitomaque et adoptée dans l’école pour le développement de la doctrine. Mais il est préférable, croyons-nous, en raison même du but que nous poursuivons, d’adopter un autre ordre. Nous nous demanderons d’abord de quelle manière Carnéade a combattu les opinions des dogmatiques ; en second lieu, sur quels points ont porté ses affirmations[5].

Nous avons vu que la question capitale pour les philosophes postérieurs à Aristote, c’est la question du critérium de la certitude ; nous avons vu que la discussion entre les Stoïciens et Arcésilas avait

  1. Loc. cit.
  2. Diog., IV, 64 ; Suidas, art. Carnéade.
  3. Numénius l’attaque plus vivement qu’il n’attaque Arcésilas : ce fut un mal superposé, dit-il, à un autre mal. Cicéron parle de son « incredibili facultate » ; il l’appelle « hominum omnium in dicendo accerrimum et copiosissimum  ». Strabon dit de lui : τῶν ἐξ Ἀκαδημίας ἄριστος φιλοσόφων, etc.
  4. Ce dernier est cité dans l’Index Herc., col. 22, 5.
  5. C’est d’ailleurs à peu de chose près l’ordre suivi par Zeller et par Maccoll (The Greek Sceptics from Pyrrho to Sextus).