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FONSEGRIVE.conséquences sociales du libre arbitre

s’accorde avec nos lois. Pourquoi ne considère-t-on pas la pornographie comme une opinion et ne laisse-t-on pas librement pratiquer en France la religion mormone ? Parce que la société est basée sur une certaine retenue des mœurs et sur la monogamie. Toutes les fois que la société atteint et punit une action, c’est qu’elle la considère comme incompatible avec sa propre existence. La loi ne peut scruter les consciences ni pénétrer au for intérieur ; elle ne punit pas le mal comme tel, mais le mal comme nuisible au corps social. Cela résulte des principes mêmes que nous venons de poser. Supposez un communiste convaincu, ou un mormon pratiquant, quelle que soit la pureté de leurs intentions, leur innocence morale, la loi condamnera le premier pour vol, le second pour adultère, parce que l’innocence ne se confond pas avec l’innocuité, et plus ils seront convaincus, par conséquent plus ils seront moralement innocents, plus la loi les frappera sévèrement, parce qu’ils seront d’autant plus capables de nuire. Les théoriciens du droit de punir qui veulent que la société considère surtout la moralité de l’action me paraissent se tromper. Si la loi ne doit atteindre que des actes immoraux, cela vient de ce que tout acte nuisible à la société est immoral ; mais de ce que tout ce qui est punissable est immoral, il ne s’ensuit pas que tout ce qui est immoral soit punissable. Ainsi la sphère de la nocuité est idéalement contenue dans celle de l’immoralité, mais les deux sphères ne doivent pas être confondues. Si toute action immorale tombait par là même sous le coup de la loi, il n’y aurait pas de tyrannie qu’on ne pût justifier par ces principes. Sans doute le droit de punir, comme tous les droits, dérive des notions morales, mais nous avons vu comment. C’est pour sauvegarder le libre arbitre et, par lui, l’ordre moral, que la société a le droit de réprimer les oppresseurs de ce pouvoir. On voit par là qu’en faisant reposer le droit pénal sur le droit de la société à se conserver et à se défendre, M. Franck n’a pas, comme on le lui a reproché en même temps qu’au déterminisme, consacré le droit du plus fort. L’objection porte contre le déterminisme, mais elle n’a plus de force contre ceux qui ne reconnaissent à la société que des droits dérivés de son devoir de sauvegarde et de protection vis-à-vis du libre arbitre individuel. Dès qu’elle outrepasse ces limites, elle usurpe. Il peut arriver que, sous prétexte de conservation et de défense, elle édicte des lois injustes, en fait elle aura toujours pour elle contre l’individu la raison du plus fort, mais elle n’aura pas la raison la meilleure, celle du droit. C’est précisément la tâche du droit politique de déterminer quelles sont les conditions nécessaires et suffisantes de l’existence de l’État. Ainsi le droit de punir repose bien plus sur le libre arbitre du citoyen inof-