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tout ce qui détruit ou entrave la liberté d’autrui. Ainsi, dès que je sors dans la rue ou que j’entre dans un lieu public, mes actions, par les exemples qu’elles donnent ou les violences qu’elles font subir, deviennent des actes sociaux que la loi a le droit de contenir dans les limites où ils demeurent inoffensifs pour le corps social et pour chacun de ses membres. Les mêmes principes s’appliqueront à la libre expression de nos sentiments et de nos pensées. D’une part si je crois posséder la vérité, j’ai le devoir de la communiquer à mes semblables ; mais, d’autre part, la société a le droit et même le devoir de se défendre contre les dangers qu’elle peut courir.’Si donc les doctrines que je crois vraies risquent de se traduire en actes et que ces doctrines fassent courir à la société un véritable danger, la société a le droit d’intervenir et d’interdire leur propagation. La loi ne punit pas toute excitation à la débauche, mais elle punit l’excitation des mineurs. Pourquoi ? Parce qu’elle suppose que le mineur n’a pas encore atteint toute la liberté de son arbitre et qu’il n’a pas la force suffisante pour résister aux excitations malsaines. De même les dangers que peut faire courir la parole ou la presse sont très variables selon les auditeurs ou les lecteurs, selon les temps ou selon les lieux. La presse a d’autant plus de puissance à proportion que le peuple sait lire et participe davantage au gouvernement, mais elle offre moins de dangers à proportion que le peuple est plus instruit. Les droits de la presse varient donc avec les temps et les circonstances et nous ne devons pas nous étonner de voir les lois en cette matière se succéder et se remplacer. Quelles sont maintenant les opinions qui peuvent véritablement et juridiquement être appelées dangereuses ? Ce ne sont pas évidemment celles qui ne font que contrarier le système de ceux qui gouvernent, ce sont seulement celles qui sont en opposition absolue avec les principes sur lesquels repose une société donnée, c’est-à-dire les propositions contradictoires — et non contraires — de ces principes expressément formulés. Pour ne citer qu’un exemple, les libéraux purs ont posé comme principe de la société moderne issue de la Révolution cette formule : Toutes les opinions ont le droit d’être librement professées. Or, le Syllabus a imposé aux catholiques l’obligation de souscrire à la proposition contradictoire : Quelques opinions n’ont pas le droit d’être librement professées. Les libéraux autoritaires ont alors compris que les deux doctrines ne pouvaient coexister et ils ont dit : Toutes les opinions ont le droit d’être librement professées, sauf celle qui n’admet pas le droit de toutes les autres. Mais, par cette exception, les libéraux autoritaires sont venus à la doctrine même du Syllabus.

Cette doctrine d’ailleurs paraît la seule logique et la seule qui