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FONSEGRIVE.conséquences sociales du libre arbitre

ne sentant que le sien, le préfère à celui des autres et nul ne peut le blâmer. Mais le bonheur individuel fait partie du bonheur total, et est même une condition du bonheur d’autrui. La société est le résultat des lois naturelles qui lient le bonheur de chacun au bonheur de tous. Ses lois devront donc avoir pour but de procurer le plus de bonheur possible au plus grand nombre possible. Pour arriver à ce but il faudrait d’abord évaluer le bonheur. Or, s’il n’est pas possible d’arriver à une juste évaluation de tous les bonheurs, on peut arriver du moins à en évaluer la principale partie. Le bonheur, en effet, se compose d’une condition négative, la privation de la peine, et d’un état positif, le plaisir ; par suite, ce qui représentera la suppression des peines et la production des plaisirs deviendra le signe objectif du bonheur. Or, la richesse est précisément définie l’ensemble des choses transmissibles susceptibles d’épargner de la douleur ou de procurer du plaisir. La science donc qui enseigne à produire le maximum de richesse avec le minimum de travail sera la science qui devra imposer des lois à la société. L’économie politique devra présider à la confection de toutes les lois.

C’est cette science d’ailleurs qui, unie à la physiologie, nous découvre la haute valeur de l’homme. Si, d’une part, en effet, la physiologie montre que l’organisme humain est plus délicat, plus sensible que l’organisme des animaux, et par suite que le plaisir humain est à la fois d’une quantité plus intense et d’une qualité plus relevée, d’autre part, l’économie politique établit que, sans le travail humain, il n’y aurait point de richesse, point de ces plaisirs de luxe, délicats et raffinés, honneur de notre espèce, et M. Rochard a prouvé que la valeur d’aucun animal n’atteint, au point de vue de la seule production, la valeur de la vie humaine même la plus vulgaire.

L’homme donc a une valeur ; il mérite un prix ; il est digne d’une estime bien supérieure à celle que l’on accorde aux animaux.

La société traitera donc l’homme en conséquence ; elle sera libérale, miséricordieuse et clémente ; surtout elle épargnera une vie si précieuse ; elle évitera le plus possible les guerres et les condamnations à mort ; il faudra rendre le travail le plus rémunérateur possible pour exciter l’homme à produire le plus possible et par suite à augmenter le bien-être de tous. Puisque la valeur des choses se mesure au bonheur, il faudra travailler à bannir du monde la misère et le malheur, par suite élever doucement l’enfant, lui épargner les punitions et la discipline trop rigoureuse, multiplier les œuvres d’assistance, faire souffrir le moins possible ceux que devra atteindre le bras de la loi. L’homme souffre toujours de toute limite apportée à son activité ; il pourra donc satisfaire librement les dé-