Page:Revue philosophique de la France et de l'étranger, XXIII.djvu/371

Cette page n’a pas encore été corrigée


LES CONSÉQUENCES SOCIALES

DU LIBRE ARBITRE[1]


Le respect de la valeur, de la dignité humaine, est ce qui caractérise notre civilisation. Tout ce qui peut abaisser l’homme, l’humilier, l’amoindrir à ses propres yeux et à ceux de ses semblables, tend à disparaître des lois et des règlements publics. C’est comme contraires à la dignité de l’homme que nous condamnons l’esclavage, que le code civil interdit la location des services à vie, que les corrections corporelles sont interdites dans les bagnes aussi bien que dans les établissements d’instruction, que le pilori a été supprimé, etc. C’est également à cause de la dignité et de la haute valeur de la pensée et de la conscience humaines qu’à peu près tous les contemporains considèrent comme sacrés les droits de penser, d’agir, de parler, d’écrire librement sous la seule condition de ne pas nuire à autrui. La liberté de la presse, de la parole, de la conscience parait donc fondée sur la dignité humaine. Pourquoi de même le dogme de la souveraineté nationale est-il écrit en tête de toutes nos lois ? Parce qu’il ne paraît pas digne d’un homme d’être sujet d’un autre homme, mais seulement de la loi. Ainsi la dignité humaine paraît se trouver à la base du droit public tel qu’à peu près toutes les nations civilisées le comprennent à la suite de la Révolution française.

La Constituante appuyait la série de ses déductions sur l’affirmation d’une liberté naturelle et primordiale, et Rousseau n’hésitait pas à dire que cette liberté naturelle était le libre arbitre lui-même. Or, il se trouve que ce libre arbitre est maintenant nié, et souvent avec une sorte de passion, par ceux-là mêmes qui se disent les héritiers directs de la tradition révolutionnaire. Il ne semble donc pas hors de propos de se demander dans quelle mesure les principes sur lesquels repose tout notre édifice social dépendent de l’affirmation ou de la négation du pouvoir de l’homme sur ses actions. Nous voudrions donc exa-

  1. Extrait d’un livre intitulé : Essai sur le libre arbitre, qui reproduit le Mémoire couronné il y a deux ans par l’Académie des sciences morales et politiques et qui paraîtra prochainement à la librairie F. Alcan. — 1 vol.  in-8o de la Bibliothèque de philosophie contemporaine.