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PENJON.une forme nouvelle de criticisme

conséquence : Il y a un être purement bon qui est la nature normale des choses. La philosophie tout entière est ainsi ramenée à quelques notions fondamentales d’une simplicité parfaite : « Simplex sigillum veri. »

Le lecteur aura remarqué les analogies qui se présentent d’elles-mêmes entre les conclusions de cette doctrine et certains systèmes anciens et modernes, d’Orient et d’Occident. Elle n’est pas sans affinité avec l’éléatisme, mais elle emploie des arguments moins subtils et elle a profité de tous les progrès accomplis depuis Parménide et Zénon. Elle a, en fait, à différents égards, presque autant de points d’attache avec les systèmes des Hindous, d’Héraclite, de Démocrite, de Platon, de Descartes, de Hume et de Kant. D’ailleurs il importe moins de la classer et de l’étiqueter, en quelque sorte, que de la juger. Or il y a deux points, dans cette doctrine, qui s’accordent assez mal avec l’opinion commune : elle refuse aux choses de ce monde la réalité solide et substantielle qu’elles paraissent avoir et elle attribue aux normes de la pensée et de la volonté une vérité objective. Ces deux points, je les défendrais volontiers avec M. Spir. Ils se tiennent nécessairement : les normes sont, en effet, en opposition avec les choses et elles en impliquent la condamnation. Si notre conception de l’absolu n’avait pas de valeur objective, si l’affirmation d’un absolu actuel n’était, comme beaucoup le soutiennent, qu’une vieille erreur platonicienne, les principes de contradiction, de causalité et celui de l’invariabilité de la substance n’auraient pas, eux non plus, une certitude et une validité rationnelles. Et même, si la nature normale ou absolue des choses n’était pas une unité supérieure et opposée à leur diversité empirique, la loi morale n’aurait pas d’autorité légitime. Je me convertirais donc à ce dualisme du normal et de l’anomalie, dont les deux termes sont absolument irréductibles. Il me semble bien que l’élément moral, manifestation d’une réalité supra-sensible, ne peut jamais servir de fondement et d’explication à l’élément physique, précisément parce qu’il lui est opposé, parce qu’il en implique la condamnation et ne peut avoir autrement aucun sens. Suivant une expression d’un remarquable article de cette Revue laquelle s’appliquait, il est vrai, au mal moral seulement : « Expliquer serait absoudre[1]. » Le monde, tel que nous l’avons défini, existe, il faut en prendre son parti, et renoncer à en découvrir, même à en chercher la raison d’être. C’est une décision plus sage, à coup sûr, que d’adopter, en manière d’explication, des théories elles-mêmes inexplicables et contradictoires.

  1. Psychologie et Metaphysique, article de M. Lachelier, mai 1885.