Page:Revue philosophique de la France et de l'étranger, XXIII.djvu/368

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
358
revue philosophique

1o Il y a une norme ou loi fondamentale de la pensée qui peut se formuler en ces termes : Tout objet réel possède une nature qui lui est propre, est simple et identique avec lui-même et ne renferme en soi aucune diversité ;

2o Or tous les objets que nous présente l’expérience sont des composés de phénomènes fugitifs et des produits de causes ; ils ne possèdent donc pas de nature qui leur soit vraiment propre et ne sont pas conformes à la norme de notre pensée ;

3o Mais tous les objets de l’expérience, tant intérieure qu’extérieure, sont organisés de manière à paraître conformes à la norme de notre pensée. Dans notre expérience intérieure, tout se passe comme si le moi était une substance une et identique dans la succession du temps. Et de même les perceptions de nos sens extérieurs, qui constituent le monde, nous apparaissent comme des substances, et tous les effets, dans notre expérience extérieure, se produisent comme si les objets que nous percevons étaient, non des sensations en nous, mais des corps dans l’espace. Notre expérience tout entière consiste donc en une illusion organisée systématiquement, suivant des lois universelles et immuables, de telle sorte qu’elle paraît conforme en définitive à la norme de notre pensée.

Voici maintenant les conséquences les plus importantes à déduire de ces trois propositions :

L’absolu est la nature normale des choses.

L’absolu ou la nature normale des choses ne contient pas la raison suffisante de la nature physique qui est anormale : la norme ne peut pas servir à expliquer l’anomalie. L’anormal cependant exige une explication, et, en même temps, il n’est pas susceptible d’explication. C’est là l’antinomie que renferme l’anormal, antinomie inséparable de sa nature.

Nous constatons, d’une autre manière encore que par l’investigation théorique, l’existence de l’anormal ; nous le sentons immédiatement dans le mal et dans la douleur. Nous y trouvons le fondement de la moralité et de la religion. Elles reposent en effet, l’une et l’autre, sur la conscience immédiate de l’anomalie du mal, sur la conviction que l’opposé du mal, c’est-à-dire le bien, est seul conforme à la nature normale des choses. De là les conclusions suivantes :

1o Il faut faire le bien par amour du bien, qui est seul conforme à la nature normale des choses ;

2o On ne peut atteindre aucun bien véritablement, en faisant le mal ;

3o Tout ce qui nous porte au mal est le fait d’une erreur causée par l’illusion naturelle qui constitue notre individualité elle-même.

Voilà pour la morale. La religion formule de son côté cette dernière