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père du mensonge, ce serait le renversement de toute morale et de toute religion. Heureusement la seule preuve véritable de l’existence de Dieu est dans l’opposition radicale du vrai et du faux, du bien et du mal, de la nature normale des choses et de ce qui n’y est pas conforme. Tout ce que nous pouvons savoir de lui, c’est qu’il est purement bon et vrai. Au point de vue métaphysique, rien de plus inutile en apparence que cet absolu inactif ; mais considéré par rapport à notre pensée et à notre volonté, il est comme le soleil qui éclaire tout. Il n’a rien de commun avec l’inconnaissable de Spencer, qui est plutôt, dans une doctrine tout empirique, le principe agissant de la nature, le natura naturans de Spinoza, le côté de la nature par lequel ses phénomènes multiples sont liés entre eux et qui est le fondement de la causalité et de l’ordre naturel des choses. Ce principe agissant fait lui-même partie de la nature, n’en est que le revers en quelque sorte, et n’a qu’une essence purement physique. Tout autre est l’absolu, ou la manière d’être normale des choses, qui se manifeste seulement dans la partie morale de notre être, opposée à sa partie physique. L’idée de Dieu, telle que nous la concevons, ne peut en rien servir à l’explication de la nature physique des choses, parce que la norme ne peut pas renfermer la raison suffisante de l’anomalie qui lui est opposée. Il s’ensuit que la religion n’a rien à démêler avec les sciences. Mais les sciences ont encore moins le droit de s’ingérer dans le domaine de la morale et de la religion, parce que toutes leurs théories, comme nous l’avons expliqué, n’ont qu’une valeur relative, et ne peuvent, en aucun sens, prévaloir contre les vérités absolues que nous révèle la conscience morale. Les sciences physiques gardent donc leur indépendance complète vis-à-vis de la morale et de la religion, parce que l’idée de Dieu ne peut en rien servir à l’explication du monde, et la certitude que le monde physique est anormal, qu’il consiste uniquement en une illusion organisée, assure, vis-à-vis des sciences, l’indépendance et la primauté de la religion et de la morale. En sacrifiant, comme on le fait trop souvent aujourd’hui, le moral au physique, on sacrifie la réalité à une ombre, on renonce à tout ce qui peut donner du prix à l’existence.

IV

Quant aux conséquences pratiques, individuelles et sociales, de cette doctrine, quelle que soit leur importance aux yeux de l’auteur, comme elles nous semblent assez faciles à déduire, nous nous bornerons à les indiquer brièvement. La vie morale est, sur tous les points, la contre-partie de la vie égoïste. Dès que l’homme a compris la