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PENJON.une forme nouvelle de criticisme

élever à la vérité et à la liberté. Les théologiens disent que nous ne le pouvons sans le secours de la grâce. Toute élévation suppose en effet un état de grâce, puisqu’elle est due au sentiment et à la conscience du divin se faisant jour dans le domaine de la nature, en dépit des lois de la nature. Mais cette grâce s’acquiert surtout par la connaissance vraie des choses, je veux dire par la vue nette que l’erreur et le moi sont étrangers et même hostiles à notre nature normale.

Demandera-t-on maintenant pourquoi la loi morale est obligatoire ? Il suffit, pour répondre, de bien comprendre le témoignage de notre propre conscience. Elle nous fait entendre clairement que seuls le bien et le vrai sont conformes à notre nature normale et à la nature normale des choses en général, et pour saisir le sens de ce témoignage, il faut se rappeler que la nature physique, y compris notre individualité elle-même, repose sur une illusion. Cette notion nous permet en effet de résoudre tous les grands problèmes dont on a vainement cherché la solution. Le sens et le fondement de l’obligation, de la liberté et de la responsabilité morales, les rapports de la morale avec la métaphysique et la religion, la conciliation de la religion avec les sciences, tout devient à la fois facile à comprendre, dans la mesure du moins où il nous est donné de comprendre les choses.

Comme nous l’avons indiqué à plusieurs reprises, Dieu est l’absolu. Il n’est pas, à proprement parler, un objet de connaissance pour nous, et cependant nous avons une certitude parfaite de son existence ; nous ne pouvons pas atteindre jusqu’à lui, et cependant nous le sentons en nous-mêmes : il est notre propre nature normale dans ce qu’elle a de plus élevé. Sans le concept de cet absolu, nous ne pouvons pas rendre compte de notre propre pensée ni de ses objets, nous ne pouvons mettre aucun ordre logique dans notre conception du monde. La morale et la religion ont un fondement commun : cette certitude qu’il existe un être purement bon et purement vrai, un être parfait, un Dieu. Cette certitude est intimement liée à la certitude qu’il y a une opposition radicale entre la règle et l’anomalie, le moral et le physique. Dieu est donc une puissance purement morale et non une puissance physique. Il ne faut pas le chercher dans notre nature physique, anormale, immorale ou, tout au moins, amorale. Ce qui est anormal ne peut pas être expliqué, car expliquer une chose, c’est précisément montrer qu’elle est conforme aux normes dont nous avons la conscience intime, et l’anormal est opposé à ces normes. Le monde physique, illusoire et plein de mal, restera donc à jamais inexplicable. Supposer que Dieu a créé ce monde, ce serait dire qu’il est le créateur de l’apparence et de l’illusion, le