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admettre que nous puissions choisir le mal par une détermination vraiment libre, puisque le mal est étranger, et même hostile à la nature normale des choses. La liberté morale consiste exclusivement dans l’amour et la pratique du bien et dans la résistance au mal. L’homme n’est libre qu’autant qu’il se porte au bien, il cesse d’être libre quand il se laisse entraîner au mal. S’il n’est pas libre dans sa nature physique, c’est que des lois de sa nature physique ne le portent pas au bien, mais plutôt au mal. Sa nature physique, son individualité, reposant sur une illusion, cette illusion lui fait voir son bien dans la satisfaction de ses désirs égoïstes. C’est là le vrai point de vue pour bien comprendre en quoi consiste la liberté.

Par là aussi nous pénétrons le secret de la nature humaine. La liberté morale est en effet la part de l’absolu en nous. Notre individualité, en tant qu’elle est le produit de causes étrangères, ne peut rien enfermer d’absolu. Mais nous avons conscience de l’absolu, c’est-à-dire de la nature normale des choses. Nous jugeons que le bien et le vrai seuls sont conformes à cette nature normale ou absolue, seuls ont le droit d’exister. C’est cette conscience et ce pouvoir de juger qui sont nous-mêmes. Les impulsions de notre nature physique, au contraire, qui nous portent à l’injustice et à l’erreur, ne nous apparaissent comme nos propres inclinations qu’en conséquence de l’illusion d’où dépend notre individualité elle-même. La liberté morale n’est donc pas primitivement en nous, mais elle est une exigence de notre nature supérieure que nous ne pouvons pas renier, car ce serait renier notre vrai moi, ce qui nous est véritablement propre.

Ce n’est pas seulement dans le domaine de la conduite que s’exerce la liberté ; elle se manifeste encore dans celui de la pensée et de la connaissance, et les philosophes ont peut-être trop négligé cette face de la question. Comme nous devons faire le bien, nous ne devons rien croire sans preuves suffisantes et ne reconnaître aucune autre autorité que celle de la raison elle-même. La vérité ou la connaissance de la vérité est l’état normal de l’intellect ; l’erreur ou la croyance erronée en est, au contraire, l’état anormal. Or l’état normal, la connaissance de la vérité, ne se produit que si nos croyances ou nos convictions sont déterminées exclusivement par des raisons ou des arguments conformes aux lois logiques, que si nous éliminons l’influence des causes ou des lois physiques, source ordinaire de nos erreurs. Comme la liberté morale proprement dite, la liberté de l’intelligence n’est pas un état originaire. Nous naissons dans l’état anormal, dans l’erreur et dans la servitude. Il nous faut, par une longue discipline, par nos propres efforts, nous