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c’est ce que nous verrons ailleurs, mais le crime existe par le seul fait d’une violation si grave du sentiment de pitié. Nous ne dirons pas que le crime est d’une nature différente, ni qu’il existe dès qu’on en a conçu le projet, avant d’avoir rien fait pour l’exécuter. La raison d’État pourra donner le nom d’attentat punissable à ce qui ne serait pas tel dans les cas ordinaires, c’est alors qu’on rentre dans le délit politique. Nous parlons des cas où il y a eu meurtre, explosion, incendie, ou tentative de meurtre, d’explosion, d’incendie… Eh bien, le crime existe, indépendamment de la passion qui l’a provoqué. Il existe par le fait de la violation des sentiments altruistes élémentaires, la pitié ou la probité. Qu’on nous pardonne d’en revenir toujours là ; c’est monotone, mais indispensable pour le but à atteindre. Nous avons donc fixé que le délit politique, quoique punissable, n´est pas un délit naturel, lorsqu’il ne blesse pas le sens moral de la communauté. Ce qui fait qu’il devient tel dès qu’une société retourne tout à coup à un état de vie où l’existence collective se trouve menacée. La guerre, état ressemblant à celui de la vie prédatrice, fait passer en seconde ligne les sentiments développés par l’activité pacifique. Du moment que l’indépendance devient l’unique souci d’un peuple, l’immoralité la plus grave pour un citoyen est de tâcher de livrer sa patrie à l’étranger. Tout citoyen alors doit être considéré comme un soldat ; c’est la loi martiale qui régit ; les lois de la paix ont disparu. C’est alors que la désertion, la trahison, l’espionnage sont de vrais crimes, parce qu’ils peuvent contribuer à la destruction d’une nation par une autre. Mais l’état de guerre n’est, de nos temps, qu’une crise de courte durée. L’activité pacifique succédant à l’activité prédatrice, la moralité de la paix succède à celle de la guerre, et le crime qui n’en est un qu’en rapport à la moralité de la guerre, passe à l’état de délit politique ou disparaît tout à fait, il cesse en tout cas d’être compté parmi les délits naturels. C’est ainsi que la désertion se transforme en option d’une nationalité différente ; la conspiration et la révolte n’attaquent plus la vie nationale, mais tout simplement la forme du gouvernement ; quant à l’espionnage, il n’est plus qu’une révélation de secrets d’État, qui peut être coupable comme toute autre indiscrétion, lorsque l’honneur vous obligeait de garder le secret qui vous avait été confié et que vous l’avez vendu ou vous êtes laissé corrompre. Il y a alors improbité, c’est pourquoi le sens moral en est blessé, le délit naturel existe.

Il y a d’autres délits qui ne sont pas politiques, mais qui menacent la tranquillité publique au point de vue particulier d’un gouvernement. Telles sont, par exemple, les attaques à une institution, les grèves, la résistance à l’autorité, le refus d’un service public de la