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PENJON.une forme nouvelle de criticisme

On entend ordinairement par là que l’expérience ne nous fait pas connaître la matière telle qu’elle est en elle-même. Mais quelle nature la matière pourrait-elle avoir que les sciences physiques n’aient pas encore définitivement reconnue ? Si la matière que nous connaissons par expérience existait réellement, nous en aurions une connaissance absolue. Si, au contraire, on entend par le mot matière une substance extérieure à nous et inconnue de nous, on ne peut pas encore parler d’une connaissance de la matière qui aurait une vérité relative, puisque nous ne pouvons en aucune façon connaître la matière ainsi définie. Avec l’hypothèse de substances extérieures réelles, on ne saurait donc en aucune manière donner un sens quelconque à la doctrine de la relativité de la connaissance empirique. La vérité relative de notre expérience repose sur l’organisation systématique de l’illusion qui nous présente, dans nos perceptions, un monde de corps situés dans l’espace. La matière n’est en réalité qu’une conception de notre esprit, suggérée par la nature et l’ordre de nos perceptions extérieures. Notre esprit, c’est-à-dire nous-mêmes, voilà donc l’objet sur lequel doivent porter tous les efforts de l’investigation philosophique.

Mais l’homme ne se connaît pas encore lui-même. S’il réfléchissait cependant sur ce simple fait, déjà mentionné plus haut, qu’il juge, qu’il condamne le mal et le faux comme n’ayant pas le droit d’exister, il en déduirait les conséquences suivantes : 2o Nous possédons des normes ou règles de ce qui doit être et ne doit pas être. 1o Le bien et le vrai sont seuls conformes à ces règles, le faux et le mal y sont au contraire opposés ; il y a une opposition radicale entre le bien et le mal, le vrai et le faux. Or ces normes ne sont pas de vaines imaginations ; elles ont une valeur ou une vérité objective, puisqu’elles sont le fondement de notre faculté de juger et de notre nature morale. Il s’ensuit donc que le bien et le vrai sont seuls conformes à la nature normale des choses, tandis que le mal et le faux y sont opposés, qu’il y a, par conséquent, quelque chose de purement bon et de purement vrai, sans mélange de faux et de mal, quelque chose de parfait qu’on appelle Dieu et que cet être parfait est la nature normale des choses. Par contre, nous avons constaté que la nature physique est indifférente au bien et au mal, au vrai et au faux, qu’elle consiste mème dans une illusion systématiquement organisée. Il en résulte que la nature physique est anormale et opposée à la nature normale des choses, dont la conscience constitue notre nature morale. Faisons un pas de plus. Dans l’homme et dans tous les êtres vivants, la loi fondamentale de la nature physique est celle de la conservation, de l’affirmation de soi, la loi de l’égoïsme. La loi