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Il faut nier l’existence de ces lois logiques et morales, si l’on soutient que nous devons à l’expérience seule toutes nos connaissances. Le monde de l’expérience, la nature physique, en nous comme hors de nous, voilà, pour ceux qui prendraient ce parti, toute la réalité, et les lois physiques ou naturelles en sont les lois suprêmes. Accorder, au contraire, que la nature physique contient des anomalies, c’est admettre que nous possédons des règles, que nous reconnaissons des lois logiques et morales supérieures au monde de l’expérience. L’empirisme conduit donc au monisme, et l’a priorisme au dualisme. Entre ces deux doctrines le choix est facile, si l’on veut bien considérer que l’homme, être moral et capable de science, ne peut s’élever à la science et à la vertu qu’en parvenant à s’affranchir des lois physiques ou naturelles, en les bravant même, dans certains cas, si la loi morale le commande. Se laisse-t-il aller, au contraire, au gré des lois physiques, qui sont les lois de ses instincts, et aussi les lois de ses pensées (par exemple les lois de l’association des idées), il accomplit indistinctement le bien et le mal, comme fait la nature elle-même, ou plutôt il ne fait jamais le bien, à proprement parler, et ses jugements sont tous indifféremment vrais ou faux, conformes ou non à ce qui est.

Il y a donc une liaison logique, nécessaire entre l’idée que l’homme possède des règles pour sa pensée et sa volonté, règles que l’expérience ne lui a pas fournies, et l’idée qu’il y a une opposition radicale entre la réalité empirique ou physique et la réalité supra-sensible, qui a un caractère purement moral. En condamnant le mal et le faux, en refusant de leur reconnaître le droit à l’existence, nous affirmons que seuls le bien et le vrai sont conformes à notre nature normale, et constituent la nature normale des choses en général ; que le faux et le mal, au contraire, y sont opposés et ne peuvent par conséquent pas en être dérivés. La nature physique, qui ne connaît pas l’opposition de la norme et de l’anomalie, en qui tout existe avec le même droit et suivant les mêmes lois, se trouve donc, par cela même, en opposition avec notre conscience morale et avec le fondement de cette conscience dans la réalité. La nature physique, parce qu’elle est immorale, ou du moins amorale, est aussi anormale, et l’on doit voir dans la nature supra-physique ou divine, non la cause ou la substance du monde physique, mais bien la nature normale des choses, qui est le bien et le vrai dans leur pureté, sans attributs physiques, sans rien de commun avec la nature physique entachée de mal et de fausseté. L’homme seul est à la fois un être physique et un être moral ; mais précisément pour cela, il est aussi en lutte avec lui-même. Nier l’opposition ainsi comprise du physique et du moral, ce