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PENJON.une forme nouvelle de criticisme

trer, à ces affirmations, et les lois ne sont pas, comme le voudrait M. Renouvier, la réalité suprême pour notre connaissance.

I

Il ne faut pas parler de philosophie, ou nous entendons par ce mot la connaissance la plus exacte et la plus profonde de ce qui est. Or, cette connaissance, la synthèse même des sciences expérimentales, à supposer cette synthèse déjà possible, ne pourrait pas nous la donner, et nous n’avons à l’attendre d’aucun progrès de ces sciences. Les données actuelles de l’expérience et certains principes a priori nous permettent de l’acquérir dès aujourd’hui.

Considérons d’abord en quoi consiste l’expérience, et déterminons ce que nous lui devons.

Notre expérience est extérieure ou intérieure. Nous nous connaissons nous-mêmes, et nous connaissons un monde de corps, nous le connaissons immédiatement comme étranger à nous. Cette distinction du moi et du non-moi est une distinction fondamentale et primitive. Les psychologues anglais, Stuart Mill en particulier, qui en font un résultat de l’expérience, se sont enfermés dans un cercle vicieux. Pour que je puisse, en effet, distinguer dans les données, dans le contenu de l’expérience, ce qui n’est propre et ce qui m’est étranger, ce qui fait partie de moi-même et ce qui fait partie du monde extérieur, il faut que j’aie déjà la connaissance ou la conscience de moi-même ; or, cette connaissance ne pouvant pas précéder l’expérience, la conscience de soi et la distinction de soi-même d’avec les autres choses doivent être un seul et même acte de pensée, fondé sur une intuition primordiale. La faculté de distinguer ce qui est moi de ce qui n’est pas moi ne peut pas être acquise par l’expérience, parce que, sans cette distinction, aucune expérience n’est possible. La distinction du moi et du non-moi, tant dans la matière ou le contenu de notre expérience que dans la conscience que nous en avons, n’est donc pas susceptible de dérivation ou d’explication : elle est un fait premier et sert de fondement à toute expérience.

Si nous distinguons ainsi par un acte primitif le moi du non-moi, l’expérience nous apprend que la vie psychique ou spirituelle qui nous est propre est liée aux fonctions de certains organes et ne se rencontre jamais en leur absence. Ce n’est pas faire de la philosophie que de constater simplement cette liaison. Pour qu’une philosophie purement empirique fût possible, comme le prétendent la plupart de ceux qui étudient la physiologie cérébrale, il faudrait qu’elle nous fit concevoir cette liaison au moyen des seules données de l’expé-