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gibles, qui prétendent découvrir d’emblée le secret des choses et qui ne bâtissent en définitive que des hypothèses. Personne n’est plus exempt que M. Spir de la manie de vouloir tout expliquer a priori. Il serait plutôt en garde contre toute tentation de rien expliquer ; voici pourquoi : la philosophie, comme la science, semble avoir sans doute deux buts distincts, la connaissance des choses et l’explication des choses. Mais il est évident que l’explication des choses, quand elle est possible, sert à les faire mieux connaître. Le seul but que l’on doive se proposer est donc de connaître la réalité. L’homme est, il est vrai, un animal essentiellement avide d’explications ; mais, en fait, le désir d’expliquer ce que l’on connaît seulement en gros, nuit, dans la plupart des cas, à la connaissance des choses, et rien n’a plus entravé les progrès de la philosophie et des sciences. Les sciences de la nature ne se sont vraiment développées que du jour où l’on s’est avisé de constater soigneusement les faits dans toute leur diversité et sous tous leurs aspects avant d’en chercher l’explication. De même le vrai progrès en philosophie serait de s’assurer de ce qui est. Les tentatives des philosophes devraient ressembler aux tâtonnements d’un observateur qui cherche, avec un instrument d’optique, microscope ou lunette d’approche, à donner aux objets le plus de netteté. Le tout serait de trouver le point. C’est ainsi que l’entend M. Spir sa philosophie repose entièrement sur la constatation de faits et de règles, ou de normes, comme il dit, d’une certitude immédiate. Il ne cherche qu’à connaître les choses comme elles sont, et, bien loin d’en expliquer l’existence, il arrive à ce résultat original de démontrer que toute explication métaphysique est impossible.

Je tenais à insister dès le début sur cette méthode[1], qui est bien celle des criticistes. Je vais montrer ce qu’elle a donné entre les mains de notre philosophe. On verra combien est justifié le titre de cet article. C’est une doctrine toute différente de celle de Kant ou de ce criticisme réformé que M. Renouvier enseigne chez nous avec tant d’autorité. Le noumène, la chose en soi, reprend ici le premier rang et redevient la réalité par excellence : ὀντῶς ὀν. Le monde sensible n’est qu’un monde d’apparences, quoique formé d’éléments réels : nos sensations et nos perceptions ; il ne contient aucune substance, c’est vraiment le τὸ γιγνόμενον de Platon. La connaissance des normes logiques et morales nous conduit sûrement, j’espère le mon-

  1. Cette méthode est la seule qui donne à la philosophie toute la rigueur dont elle est capable, une véritable rigueur scientifique. Elle est la plus propre, en même temps, à délimiter, comme nous le verrons, le domaine de la philosophie et celui des sciences. C’est une tâche dont le succès, s’il était enfin assuré, rendrait certainement les plus grands services et aux sciences et à la philosophie.