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UNE FORME NOUVELLE DU CRITICISME[1]


Né en 1837 dans la Russie méridionale, M. A. Spir a quitté depuis vingt ans son pays pour habiter successivement l’Allemagne et la Suisse, où il demeure encore aujourd’hui. Il publiait récemment un recueil de ses œuvres, et il écrivait dans la préface : « Mes contemporains ne s’occuperont probablement pas de ma doctrine ; ils ont d’autres affaires. Je ne m’attriste pas trop de cette indifférence, pourvu que mes idées parviennent un jour à la postérité. C’est avec l’espérance d’assurer ce résultat que je publie cette édition de mes œuvres sous la forme la plus parfaite que j’aie pu leur donner. » On reconnaît à ce langage un philosophe à la fois modeste et sûr de lui-même : il sait qu’il n’est pas facile de persuader aux autres qu’on a trouvé la vérité, mais il croit l’avoir trouvée ; il compte sur le temps, qui met chaque chose, hommes et œuvres, à sa place, et il paraît tout résigné à ne pas voir se lever le jour de sa renommée. Ce serait donc, j’imagine, lui causer une agréable surprise que de devancer la postérité et de discuter dès maintenant ses théories. J’essayerai, du moins, de les faire connaître ; elles sont bien dignes d’attirer l’attention, même de contemporains. Le moment, d’ailleurs, n’est peut-être pas mal choisi : on s’intéresse déjà beaucoup en France aux romans russes ; voici le premier système de philosophie proprement dite, qui, non sans quelques détours, il est vrai, et après avoir fait en route plus d’une rencontre, nous vienne de la Russie.

Encore le mot système n’est-il pas ici très exact. Il pourrait donner penser que nous avons affaire à l’un de ces métaphysiciens incorri-

  1. Gesammelte Schriften. 4 B. in-8o, Leipzig, Verlag von J. G. Findel, 1885. Les deux premiers volumes contiennent la réédition du grand ouvrage : Denken und Wirklichkeit, dont les lecteurs de la Revue ont pu trouver une rapide analyse dans le numéro de mai 1879. Le troisième volume traite plus particulièrement de la philosophie pratique, de la morale et du droit ; le quatrième contient des fragments et un certain nombre de pensées détachées. Depuis la rédaction de cet article, M. Spir a publié en français un petit volume (Esquisses de philosophie critique, Paris, Alcan, 1887), où l’on trouvera le développement des idées que j’ai résumées ici.